Vous sortez coup sur coup deux ouvrages dans la collection Shampooing chez Delcourt. C’est une espèce de compilation des BD parues sur votre blog ?
Voilà, mais surJeu vidéo la moitié des gags étaient inédits tandis que dans celui-ci, il n’y en a pratiquement pas. Ce sont des "notes de blog" dont certaines datent de 2007. Ça valait le coup de les ressortir un petit peu...
Il y a eu des retouches ?
Non, pratiquement pas, ils sont comme ils étaient sur le blog.
Ce qui semble unir vos dernières productions depuis Polina, c’est que ce sont des réflexions sur le passage à l’âge adulte avec à la fois un brin de nostalgie, comme les retrouvailles de Polina et de son prof, et une appréhension pour le futur, comme si le passage au stade suivant constituait une perte d’innocence...
Oui, c’est ce qui est marrant. Quand je prends mes premiers albums de BD, comme Le Goût du chlore, il y avait un truc hyper naïf. Les gens trouvaient cela "frais". J’étais resté dans ce registre naïf jusqu’à Polina où je regarde les choses avec un peu plus de recul. Peut-être suis-je devenu trop vite désabusé ou aigri. Il y a un truc qui s’est passé... Je prends assez facilement mes libertés, lorsque je fais un album comme Les Melons de la colère, j’ai toujours fait un peu ce qui me plaisait, sans trop y penser, mais c’est sûr que tout d’un coup, avec le succès, les prix, il y a une partie de moi qui me dit : "Tu fais un bouquin pour l’histoire, pour le Panthéon de la bande dessinée, pour révolutionner quelque chose..." On peut très vite se monter la tête avec ça. Ça fait donc du bien de refaire des petits bouquins juste pour le plaisir. Je me dégonfle un peu la gueule : les BD c’est fait pour être pris, lu et se marrer.
Vous avez 28 ans, il paraît que la date de péremption pour la jeunesse, c’est 35 ans. Les jeux vidéo, c’est un truc du passé, vous n’avez plus vraiment le temps de vous y consacrer aujourd’hui ?
Ah, mais non. Je les ai redécouverts ! Je me suis remis à Streetfighter et j’ai redécouvert une communauté de joueurs grâce à ce jeu.
C’est celui qui se termine par :"Achèves-le maintenant ?"
Non, ça c’est Mortal Kombat ! (Rires) Grâce à cette communauté, j’ai retrouvé ce côté ado où tu ne t’occupes pas de ce que les autres font dans leur vie. On est juste là pour passer du temps et jouer, et ça c’est cool. Je me suis bien marré et ça m’a fait du bien. Quand on a décidé de faire ces petits albums, le thème du jeu vidéo m’est apparu en premier pour cela.
La couverture de La Famille joue un peu la provoc sur le mode "Maréchal nous voilà !"
J’ai un côté "classique", j’aime bien le symbole de la famille, le père, la mère, le frère, la sœur, le drapeau... J’aime les symboles forts. Après, c’est super-drôle de jouer avec cela...
On retrouve comme dans Polina ou dans Les Melons de la colère, la figure du père barbu. Votre père est barbu ?
Oui, j’aurai toujours cela, toute ma vie. Je suis imberbe, la virilité, avec cette barbe, je ne l’aurai jamais, alors je la mets dans mes albums ! Ce qui est drôle, c’est que le personnage de Bojinski que l’on retrouve dans Polina, de même que mon style graphique, découle de celui que l’on trouve dans mon blog.
Mais tout ce qu’y s’y trouve est super-fantasmé ! Ce sont des trucs qui auraient pu se passer dans ma famille car on était assez libres, mon père faisait du dessin, on pouvait parler de cul, mais tant que cela restait dans un cadre artistique. Toutes les questions que je me posais, mes parents y répondaient, de manière naturelle... Après, il y avait plein de questions que je préférais garder pour moi pour pouvoir fantasmer. Il y a plein de choses dans ce bouquin, le rapport père-fils, mais surtout le rapport père-fille, qui sont l’objet de fantasmes de ma part.
Vous vous êtes fait vachement remarquer avec Les Melons de la colère. Est-ce que votre démarche a été bien comprise ?
J’ai vu le remous sur ActuaBD.com. Je ne vais pas rejeter la faute sur ceux qui n’ont pas compris l’album, c’était vraiment particulier et j’aurais pu faire en sorte que ce soit plus évident au début. Cela reste un album pour rigoler, pour se marrer. Les gens qui ont se sont attendus un certain type de BD de cul ou érotique ont dû être un peu déçus, car les fantasmes sont plus moraux qu’autre chose.
Il y a des gens qui ont découvert Bastien Vivès par cet album-là...
Oui, c’est comme pour mon bouquin sur les jeux vidéo, la communauté des joueurs m’a découvert par ce biais-là. Je pense que Polina ne les intéresse pas. Cela dit, le nombre de gens que je rencontre qui me disent qu’ils ont découvert la sexualité dans la bibliothèque de leurs parents, ce sont souvent les premières images que l’on a car, vu que c’est dessiné, c’est pas vraiment cru ou choquant, cela reste du dessin...
Est-ce que Les Melons de la colère, c’est un peu votre Bandard fou, la BD « porno mais graphique » de Moebius ?
J’aime bien tester les genres. C’est comme le péplum dans Pour l’Empire, est-ce que j’y retournerai ? Le cul, j’en parlerai toujours. Mais, c’est horrible à dire, mais plus ça avance, plus je préfère le cul que j’ai dans la tête que celui dans la vraie vie. Je préfère regarder une photo et imaginer des trucs dessus que les filles que je croise dans la rue. C’est pourquoi je fais ce métier : je préfère les histoires que je raconte à la vraie vie. J’adore passer mon temps à imaginer des trucs.
Vous jouez à vous faire peur. Il y a une séquence où vous vous projetez comme un dessinateur de BD has been qui a reçu des tas de prix et que tout le monde a oublié. On a l’impression que le jour où vous vous marierez et vous aurez des enfants, tout sera foutu...
Oui, c’est vrai. Je ne suis pas encore passé à l’âge adulte. Tout le fric que j’ai gagné ces six derniers mois, je les ai claqués en achetant des jouets sur Internet, ceux que j’avais quand j’étais petit. Je les achète avec les blisters et les boîtes d’origine. C’est n’importe quoi, j’ai eu une petite rechute... (Rires)
À Angoulême, j’ai fait une émission sur France Culture avec Blutch. C’est une de mes grandes références. Il avait fait un bouquin qui s’intitulait C’était le bonheur chez Futuropolis. Il y raconte des choses dans lesquelles je me retrouve complètement, ses angoisses de gamin, etc. Or, il l’a fait alors qu’il venait d’avoir un enfant. Il met ses angoisses de père et d’enfance dans son bouquin. Il faut avoir un courage monstrueux pour cela. Sur France Culture, quand il parlait de l’enfance, il disait qu’il n’était pas nostalgique mais mélancolique. Quand il dessine des cowboys, il dessine son enfance. C’est Brel qui disait que l’on rêvait jusqu’à 17 ans et qu’ensuite, on passait notre vie à courir après ces rêves. Ce n’est pas pour rien que j’ai eu ce déclic. J’aime beaucoup le dessin, mais ce que je préfère, c’est raconter des histoires.
Et dans "la vraie vie", tout va bien ?
Oui, je vous rassure, même si j’ai les angoisses habituelles au niveau du couple, tout se passe bien. Mais c’est vrai que lorsque j’ai commencé la BD, j’étais une sorte de moine. Pendant trois ans et demi, je travaillais, je me mettais à imaginer plein de trucs, mais à part cela, rien. Le dessin permettait de faire en sorte que les rêves que l’on a dans la tête existent. Ça fait peur. Ce ne sont pas des transgressions, car ce n’est pas la réalité ce que l’on fait. C’est du vent, ce n’est pas vrai, mais cela met une confusion entre le réel et l’imaginaire très troublante, en fait.
Ce qui me sauve, c’est que je me dis que je ne suis pas un artiste, que ce que je suis en train de faire là, c’est mon travail, que je le fais pour plaire à un public, pour faire rêver un gosse. Plus cela avance et moins je suis dans le délire de l’auteur qui exprime sa catharsis, plus je conçois mon travail d’un côté "commercial", dans le bon sens du terme.
Dans les forums d’ActuaBD, on se déchaîne contre ce dessin "sketchy", d’un apparente facilité. Est-elle réelle ?
Je ne suis pas un laborieux mais j’ai énormément de mal à dessiner. Là ou je galère le plus, c’est dans la construction de l’histoire. Le dessin, j’en fais depuis vingt ans. Je ne vais pas dire que je sais ce que c’est, mais je sais faire. La plupart du temps, je consacre toute mon énergie à l’histoire. Je passe 80% de mon temps à faire que les personnages se tiennent, à écrire mes dialogues... Il y a aucun dessin que j’ai fait à la "va vite" mais je n’y consacre pas le plus de temps. Du moment que mon dessin sert le propos et va dans le sens de l’histoire, je valide.
Dans ce cas -là, tout est écrit avant même de dessiner ?
C’est au moment de mon story-board que je fais toute la mise en scène. Sur Polina, je l’ai refait plusieurs fois. Il y a des scènes que j’ai enlevées, d’autres que j’ai rajoutées. J’ai réécrit entièrement le story-board quand j’étais à la moitié de l’album. C’est un dessin narratif où je ne recherche pas le beau dessin, comme je le ferais dans une illustration par exemple. J’essaie d’avoir le dessin juste. Dans Polina, quand elle pleure, j’ai du refaire le dessin pendant un jour et demi. Je recommence beaucoup.
Il y a dans votre dessin quelque chose d’apparemment inaccompli, mais les volumes sont là...
J’essaie que cela reste lisible, surtout dans les notes de blog.
On vous a reproché de reproduire plusieurs fois la même case...
Je n’ai pas besoin de redessiner. On voit parfois des gens faire parler deux personnages sans changer de plan mais en prenant soin de leur faire changer d’attitude d’une case à l’autre, alors qu’il n’y a pas de vocation à faire bouger le personnage. Dans La Famille, je pose ma caméra. Reiser ne faisait pas autrement, sauf que lui dessinait plus vite que de copier et découper le dessin pour le recoller !
Là vous êtes sur un projet de manga ?
Oui, avec Yves Bigerel (Balak) et Michaël Sanlaville, on va essayer de faire un feuilleton, Lastman, une grande histoire fleuve shônen avec de la baston, de l’humour, des trucs sexy dans la tradition du shônen, mais avec notre touche. Ce sera chez Casterman dans un format un petit peu plus petit que les mangas de Taniguchi, dans une collection à part.
Le but est d’essayer d’avoir le même rythme que les mangakas japonais, c’est à dire vingt planches par semaine. J’ai posé la trame de départ et puis on en discute ensemble. Plus cela avance, plus tout le monde participe à l’écriture. Surtout Balak fait tout la mise en scène, le story-board, le placement des dialogues, car il y a énormément de choses à raconter. Il fait ça très très bien. Avec Michaël, on se partage le dessin. C’est pour janvier 2013 et il y aura trois bouquins dans l’année. C’est génial, j’espère que cela marchera, qu’on en fera des jeux vidéo et des dessins animés ! (rires).
En attendant, en septembre, il y a La Belle Odalisque avec Ruppert & Mulot dans la collection Aire Libre chez Dupuis. On travaille complètement ensemble. On esquisse un premier story-board que Florent reprend en ajoutant des dialogues, Mulot passe et je commence à faire des personnages, puis Jérôme commence à faire des décors et d’autres personnages. Ici, c’est plus moi qui ait adapté mon trait au style de Ruppert & Mulot, mais il y aura de la couleur, un grand format et c’est une super histoire. Au début, ils avaient leur histoire, mais comme leurs personnages n’ont pas de visage, ils ont demandé que je le leur dessine. C’est comme cela que la collaboration a commencé. C’est une grosse BD d’action mais, comme toujours dans le style de Ruppert & Mulot, un peu décalé...
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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