Curieux cas que celui d’Alan Moore. Voici un dessinateur (à ses débuts) qui aborde le comics comme une littérature. Il y a chez lui des personnages complexes, qui, à chaque instant, vivent des moments de tragédie. Shakespeare, Lovecraft, Moorcock et Pynchon ne sont pas loin. Le magicien de Northampton sort juste de sa phase fanzine et réalise un coup d’éclat en œuvrant, à l’invitation de Julius Schwartz chez DC Comics, sur The Swamp Thing. Parallèlement, on découvre son V for Vendetta conçu pour l’Angleterre aux éditions Warrior. On est en 1984. Dans deux ans, avec l’Anglais Dave Gibbons, il publiera Watchmen, le comic book de la décennie, suivi en 1988 par le Batman : The Killing Joke, dessiné par le fabuleux Brian Bolland. En quatre ans, Alan Moore est devenu la coqueluche de New York (siège de DC Comics et de Marvel), avant de devenir celle d’Hollywood.
Julius Schwartz, qui secoue le cocotier de la Distinguée Concurrence face à la Maison des Idées, lui confie tous les personnages de la maison qui sont parallèlement en train de se faire dézinguer dans Crisis on Infinite Earths : Batman, Superman, Green Lantern, Green Arrow… Il y a quelques morceaux de bravoure (comme celui où il imagine un Krypton qui n’aurait pas explosé mais qui serait devenue, sous la férule du propre père de l’Homme d’acier, une dictature suprématiste) mais, dans l’ensemble il n’y a pas de miracle. L’industrie du comics est encore sclérosée et n’est pas adaptée à un talent de cette dimension.
On créera pour Moore un label, America’s Best Comics, qui regorge de richesses mais la nouvelle génération, celle des Jim Lee et des Todd McFarlane, est déjà ailleurs, créant ses propres structures. Moore écrira d‘ailleurs pour elles. L’auteur de Watchmen avait apporté à DC un projet pharaonique : Twilight of the Superheroes, mais Julius Schwartz était en train de quitter le navire, brisant la relation de confiance, et le projet restera à l’état de script (d’ailleurs intégralement reproduit dans cet album).
C’est donc un moment particulier de la carrière d’Alan Moore que l’on retrouve dans cet album. Plus qu’une curiosité : un traitement des héros classiques de chez DC souvent inattendu. Il faut parfois s’accrocher.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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