Au terme d’une vie passée à voler, tromper et tuer, Kriss de Valnor meurt dans un acte de bravoure et de bonté. Les Walkyries ne savent quel destin lui réserver : le Walhalla, paradis des guerriers, ou l’errance éternelle dans les brumes glaciales du Niflheim ? La farouche combattante doit maintenant plaider sa cause devant la déesse Freyja. Pour cela, il lui faut se souvenir de l’enfant qu’elle était, des premiers coups subis… et rendus !
Yves Sente avait déjà abordé dans « Le Cycle de Jolan » de Thorgal les origines de Kriss de Valnor pour approfondir l’aspect mythologique de la série. Il revient avec efficacité et talent sur son adolescence et sur ses premières aventures aux côtés de Sigwald le brûlé. Giulio De Vita a réussi le pari de se glisser avec subtilité dans les pas du créateur graphique de Thorgal, Grzegorz Rosinski, sans pour autant le plagier. « Je n’oublie rien ! », la premier épisode d’une histoire développée en deux albums est une vraie réussite !
Pourquoi avez-vous réalisé une collection qui contient des séries parallèles centrées sur les différents personnages de Thorgal ?
Y. Sente : L’idée vient de Grzegorz Rosinski, ou plutôt de ses lecteurs. Ceux-ci se plaignaient régulièrement de ne pas retrouver chaque année une nouvelle aventure de Thorgal et des siens en librairie. Après avoir dessiné une trentaine d’albums, Grzegorz nourrit toujours le même intérêt pour cette série, mais il a également d’autres envies artistiques. Il aime peindre, ou réaliser de temps en temps des one-shot comme par exemple Le Comte Skarbek. Il était un peu embêté de ne publier qu’un album tous les deux ans, soit quarante minutes de plaisir pour les lecteurs, dans un monde où un épisode d’une série télévisée est diffusé chaque semaine !
Un autre facteur a également joué : Les lecteurs lui demandaient souvent en dédicace des nouvelles de ses différents personnages. Thorgal n’est plus le seul héros de la série. Les lecteurs se sont attachés à toute une famille : Aaricia, Jolan, Louve, Kriss de Valnor, etc.
Grzegorz, à partir de ces réflexions, s’est dit que pour répondre aux attentes de son public, sans devoir dessiner deux albums par an, il fallait créer des séries parallèles.
Pourquoi avoir opté dans un premier temps pour le personnage de Kriss de Valnor.
YS : Il était plus simple de l’utiliser en premier lieu car elle était déjà écartée de la série. Dans le vingt-huitième album, Jean Van Hamme a décidé de la mettre sur le côté. Même si elle n’est pas une Aegirsson, Kriss fait partie de cette famille puisqu’elle est la mère de l’un des enfants de Thorgal.
C’est un personnage qui a toujours été relativement odieux envers Thorgal, avant de se racheter dans le vingt-huitième tome. Elle meurt sur un acte de bravoure.
YS : Il y a donc quelque chose d’intéressant à raconter. Avec ce dernier acte de bravoure, Jean m’a offert un cadeau. J’avais là une formidable possibilité de rebondir. Grzegorz a donc décidé que nous donnerions des nouvelles des membres de la famille Aegirsson pendant que Thorgal vivrait ses propres aventures. On ne pouvait pas laisser Kriss dans un rôle caricatural. Elle vaut bien plus que cela. On ne va certainement pas la changer. Mais pour qu’elle puisse vivre des aventures indépendantes, il était nécessaire de lui donner plus de corps, de peaufiner son identité, sa psychologie. Si on veut savoir qui elle est, il fallait aborder son passé !
Pourquoi avoir pensé à Giulio De Vita pour illustrer cette série ?
YS : C’est un excellent dessinateur, qui a démontré dans Le Décalogue et dans,James Healer qu’il était familier avec la réalité. Avec Wisher, il nous a prouvé qu’il était capable d’illustrer d’autres mondes, de sortir de la réalité. Nous nous entendions bien et nous avions envie de travailler ensemble. Je savais que notre collaboration allait bien se passer. C’est quelqu’un d’ouvert qui est capable d’écouter et de dialoguer. C’est très important dans ce métier de pouvoir collaborer avec des auteurs qui n’ont pas un égo surdimensionné. Il faut pouvoir se faire mutuellement des remarques sur le travail de l’autre, en sachant que les vexations seront évitées… C’est Grzegorz qui l’a choisi pour illustrer Kriss de Valnor. C’est lui gère la partie graphique des Mondes de Thorgal.
Giulio De Vita, pourquoi avez-vous accepté de dessiner « Kriss de Valnor » ?
GDV : L’opportunité de travailler dans un autre univers qui est l’un des plus connus de la bande dessinée franco-belge. C’était aussi une occasion de voir jusqu’où je pouvais aller au niveau artistique. Cela fait de nombreuses années que j’admire le travail de Grzegorz. C’est un auteur qui est en constante progression. Aujourd’hui encore, son style évolue. C’est un grand artiste qui a beaucoup d’humilité. Il a eu ce projet autour de sa série, qui est un peu à l’avant-garde.
Et puis, il ne faut pas le cacher, Kriss de Valnor m’offre une belle carte de visite et me permet de mieux me faire connaître.
Quel était le cahier des charges au point de vue graphique ?
GDV : Être moi-même et faire le mieux possible ! Bien sûr, Grzegorz, Yves et le Lombard ont posé des balises, mais elles sont assez larges. On m’a demandé de ne surtout pas copier le style de Grzegorz, tout en respectant certains repères graphiques : les personnages, la narration, les phylactères, le lettrage, etc. Mais certains éléments sont intuitifs. L’histoire demande une mise en scène différente de ce que je faisais, par exemple, sur Wisher, qui était une histoire qui induisait des cadrages osés, proche de ceux des Comics.
Votre trait est beaucoup plus nerveux que sur Wisher.
GDV : Oui. J’ai travaillé sur un papier différent. Avant, j’utilisais un papier plus lisse qui me permettait d’apporter beaucoup plus de précision dans les détails de mes cases. Le résultat était plus froid que dans Kriss de Valnor. Mais Wisher demandait ce type d’ambiance. Pour Kriss de Valnor, il fallait un trait plus vibrant. J’ai opté pour un papier plus rugueux pour avoir un trait moins précis, tout en conservant une énergie. Mais j’ai travaillé sur d’autres éléments graphiques, comme par exemple la nature. Avez-vous remarqué dans le monde de Thorgal les arbres sont esquissés ou grandissent d’une manière bizarroïde ? Grzegorz m’a donné de nombreux conseils pour me glisser dans l’univers de Thorgal.
Ce premier tome de « Kriss de Valnor » est plus simple, plus linéaire, que votre reprise narrative de Thorgal. Était-ce une volonté de votre part ?
YS : Mais « Je n’oublie rien » est un premier tome, alors que Thorgal a dépassé les trente albums. Pour cette dernière série, je dois fatalement tenir compte des pistes que Jean Van Hamme a laissées dans les précédentes histoires, tout en respectant l’identité de la série. C’est donc beaucoup plus complexe. Je n’ai jamais pensé écrire quelque chose de différent, un récit plus linéaire, comme vous dites, pour Kriss de Valnor. J’ai repris ce personnage en axant la première histoire sur sa jeunesse, qui n’avait pas été exploitée par Jean Van Hamme.
Vous accentuez l’aspect « mythologique » avec votre reprise… En sera-t-il de même dans les prochains albums ?
YS : Le « Cycle de Jolan » se termine avec La Bataille d’Asgard. Dans le prochain album, Thorgal vivra une aventure plus traditionnelle, en étant seul, à la recherche de son fils, Aniel. Il y a toujours eu des récits « traditionnels », plus simples, et des cycles dans Thorgal. Jean Van Hamme avait écrit le « Cycle de Qâ » ou celui de « Shaïgan sans merci » par exemple.
Il y a quelques références à la série principale. On aperçoit notamment Pied d’Arbre, qui fut l’un des personnages marquants de l’album « Les Archers » et « le cycle de Qâ ».
YS : C’était un plaisir à la fois pour nous, auteurs, et pour le public de retrouver ce personnage. Le lecteur qui découvre Thorgal via cette série parallèle ne fera pas le lien avec les albums que vous citez. Il verra simplement un marchand d’arme barbu. Les lecteurs assidus de la série retrouveront ce personnage avec plaisir.
Quelle est votre plus grande joie, et votre principale difficulté avec la reprise de Thorgal et la création de Kriss de Valnor.
YS : Ma plus grande joie est de faire partie d’une véritable équipe. Comme vous le savez, je connais Grzegorz depuis de nombreuses années. Aujourd’hui Giulio De Vita, Yann et Didier Alcante nous ont rejoints pour réaliser des histoires dans Les Mondes de Thorgal. On se rencontre souvent et on partage nos idées pour créer nos histoires. Mon dernier rôle éditorial au sein du Lombard est de veiller à la cohérence des Mondes de Thorgal. C’est un plaisir d’avoir instauré naturellement un véritable esprit d’équipe, un véritable travail de « team », un peu comme la manière dont travaillent les scénaristes américains. Le métier d’auteur de BD est une profession où l’on est seul face à sa feuille blanche. Là, avec les Mondes de Thorgal, on se voit, on s’échange des mails, et on voit que l’on n’est plus seul (Rires).
Pour l’instant, c’est relativement facile, il n’y a qu’une série parallèle. Mais j’imagine que les choses vont se corser. Vous annoncez la publication du premier tome de « Louve », avec Yann, au scénario, et d’autres projets autour de Thorgal.
YS : Ah, mais c’est ce qui excitant et amusant ! Cela va se compliquer, c’est certain. La facilité n’est pas excitante. Mais nous allons maitriser l’évolution des « Mondes de Thorgal » avec des auteurs qui ont le même état d’esprit, et qui veulent avant tout se mettre au service d’une série. Je suis assez confiant…
Kriss de Valnor - T1 : Je n’oublie rien !
envoyé par LeLombard. - Futurs lauréats du Sundance.
Quelle est la principale difficulté ?
YS : Quand on commence un album, on démarre toujours à zéro. On peut déjà avoir signé cinq, dix ou cinquante albums, on se remet toujours en danger, vu que l’on repart d’une page blanche ! C’est un métier d’artisan, où l’on débute toujours. La difficulté est de garder l’attention et d’être professionnel. Il faut penser à l’univers de la série et pas à son égo. Un auteur a toujours tendance à vouloir se faire plaisir. Ce ne doit pas être le cas dans les « Mondes de Thorgal ». Van Hamme et Rosinski ont créé une série populaire et les lecteurs attendent qu’on en respecte les codes. Mais aussi à ce qu’on les étonne et que l’on soit original dans nos histoires, dans notre dessin. Giulio ne dessine pas comme Grzegorz. Et c’est très bien ! Il faut qu’il surprenne. Grzegorz ne demande à personne de dessiner comme lui. Il a un seul impératif : respecter certains codes. C’est ce respect-là, cette contrainte, qui va demander une attention permanente. Si les auteurs veulent se faire plaisir et satisfaire leurs égos, ils peuvent faire des albums sur le côté…
Vous disiez que cet album était un premier tome. « Kriss de Valnor » va devenir une série à part entière ?
YS : Oui. Pour nous, c’est clair ! Dans la première histoire, développée en deux albums, nous expliquons d’où elle vient, et comment elle est devenue la personne que Thorgal a croisée. Après, elle reprendra sa vie…
Rosinski intervenait-il dans vos planches, Giulio ?
GDV : Non. Il m’a fait quelques remarques sur les premières planches. J’ai eu un peu de mal à les faire, car je n’étais pas certain de mon travail, ce qui était normal. Grzegorz est un artiste, un maître. Il me conseillait de temps en temps en me proposant des alternatives sur ces premières planches. Après, quand il a vu que j’entrais dans les codes, il s’est senti sécurisé et m’a complimenté !
Jean Van Hamme nous a mentionné dernièrement qu’il ne s’occupait absolument plus de Thorgal.
YS : Mais il s’y intéresse beaucoup. J’ai été dernièrement chez lui avec notre éditeur, Arnaud De La Croix. Nous lui avons présenté les différents projets autour des Mondes de Thorgal. Il s’est montré très intéressé par l’avenir de son univers. Il a reçu un exemplaire des albums deux jours après que les nouveautés autour de Thorgal aient été imprimées. Deux heures après sa lecture, je recevais un mail avec ses impressions, ses compliments. Jean Van Hamme n’a plus le temps de gérer l’univers de Thorgal. Il a d’autres envies, d’autres préoccupations. On n’a malheureusement que vingt-quatre heures dans une journée, et celle de Jean Van Hamme sont très occupées.
Il a eu l’honnêteté intellectuelle d’arrêter de scénariser la série au vingt-neuvième album de Thorgal. Il avait fait le tour de l’univers et ne voulait pas faire l’album de trop. Il préfère confier ses personnages à d’autres, qui viendront alimenter l’univers. Mais il reste très attentif de l’avenir de Thorgal. C’est son bébé, au même titre que c’est celui de Grzegorz. Il le sera tout autant dans vingt ans, lorsqu’il y aura une nouveauté. Il m’a dit qu’il espérait passer de bons moments à lire les prochains albums autour de Thorgal. Lorsque Jean Van Hamme me dit qu’il a apprécié l’histoire des derniers albums, cela me rend heureux. Cela veut dire que l’on a respecté le ton et l’esprit qu’il a insufflé à la série. Et il y a donc de fortes chances que les albums plaisent au public, même si je n’écris pas du Van Hamme, car je ne suis pas lui !
L’objectif des « Mondes de Thorgal » est qu’à terme chaque personnage de la famille prenne son indépendance dans une série et que Thorgal vive ses aventures seul ?
YS : Je retourne votre raisonnement. L’objectif est que pendant que Thorgal vit ses aventures, les lecteurs qui sont attachés à tous les personnages aient l’occasion de suivre leur parcours à ce moment-là. Ce n’est pas tout à fait la même chose ! Que sont devenus Kriss, Jolan, Louve, etc. Nous allons raconter leurs histoires en parallèle. Pendant que Thorgal est à la recherche d’Aniel, son fils, Yann racontera ce que vivront Louve et Aaricia. Yann travaille sur Louve avec Roman Surzhenko (La Meute de l’Enfer, aux Humanoïdes Associés), un dessinateur moscovite extraordinaire. C’est Piotr Rosinski, le fils de Grzegorz qui l’a déniché ! Il dessine Louve d’une manière émouvante et magnifique ! Le premier tome de Louve, qui sera intitulé La Main coupée du dieu Tyr paraîtra l’année prochaine. Les lecteurs pourront suivre dans des récits simultanés les destins de Thorgal et d’Aniel d’un côté, et de Louve et Aaricia de l’autre !
C’est original, et cela n’a jamais été fait en bande dessinée.
Intervenez-vous dans le scénario de Yann ?
YS : Oui, et non. Nous nous échangeons nos synopsis et nous rebondissons sur celui de l’autre. Par exemple, lorsque Yann a commencé à penser son histoire autour de « Louve », je lui ai donné le scénario de La Bataille d’Asgard. Grzegorz était occupé à le dessiner. Dans le récit, Thorgal rencontre un marchand qui part rejoindre le village où sont Louve et Aaricia. Thorgal charge le marchand d’un message pour sa femme.
Quand il a lu le scénario, Yann m’a confié qu’il aimerait utiliser ce marchand pour son histoire. Celui-ci va arriver dans le village, mais ne va pas confier le message à Aaricia… Dans son récit, Yann avait besoin que le marchand ait un petit singe. Les planches étaient déjà dessinées. Et bien, Grzegorz a rajouté sur ses planches ce petit singe qui aura un rôle important dans le premier tome de Louve. Ce singe n’a aucune importance dans mon récit, mais cela en aura une dans celui de Yann. C’est un petit exemple des liens que nous voulons tisser entre les différentes séries. On travaille en étroite collaboration. Yann me donne des idées que l’on intègre, et l’inverse est réciproque !
Sur quel personnage travaille le scénariste Didier Alcante ?
YS : Sur aucun ! Didier a relu et analysé tous les albums écrits par Jean. Ce dernier est le grand spécialiste du « planting », c’est-à-dire de poser des éléments dans le récit qui peuvent être le prétexte à une histoire par après. Mais Jean n’exploite pas toujours ces éléments. Et bien, Didier Alcante va rechercher ses éléments et les expliquer. Par exemple, dans Alinoë, Jolan trouve un bracelet. Vous connaissez l’histoire du huitième album de Thorgal. Mais Jean Van Hamme n’a jamais dévoilé l’origine du bracelet. Qui l’a façonné ? Et dans quel objectif ? On ne le sait pas, et ce n’est pas grave. L’album tient sans ces éléments. Didier a écrit une excellente histoire avec le nain Thjahzi pour expliquer les questions qui sont pendantes. Il nous offre une autre lecture de Alinoë. Didier va mettre de la lumière dans les trous noirs laissés par Jean !
(par Nicolas Anspach)
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Nous publierons dans les prochains jours une interview de G. Rosinski, où il se confiera à propos de « Kriss de Valnor » et de la bataille d’Asgard, le trente-deuxième album de Thorgal.
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Lien vers le site officiel de la série et le suite de Guilio De Vita.
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Commander Les Mondes de Thorgal – Kris de Valnor T1 : Je n’oublie rien ! chez Amazon
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