Comment s’est passée la publication de ce N°1 ?
Très bien, nous avons beaucoup travaillé en amont, dès le mois d’avril 2017, à la composition du sommaire et aux différentes problématiques liées à la publication d’un journal. Au final, nous allons approcher les 10 000 exemplaires vendus tous réseaux confondus : kiosques, librairie, export et abonnements. Je dois dire que mes projections les plus hautes tournaient autour de 6000 exemplaires, c’est dire que j’ai été agréablement surpris.
Au niveau des retours, ils sont globalement bons. L’un de mes objectifs était de toucher de nouveaux lecteurs et lectrices qui ne lisaient pas jusque là de journal sur la bande dessinée et il a été atteint, indéniablement. La ligne des nouveaux Cahiers de la BD est de s’adresser à la fois aux fans et aux profanes. De rester sur une ligne de crête accessible, qualitative et néanmoins passionnée. Je reste persuadé que cette ligne est tenable sur le long terme. L’avenir nous le dira. Il y a de nouveaux publics, c’est certain, même s’il est toujours difficile de convaincre les extrémistes et les ayatollahs de la BD, qui ont tendance à ne jamais être contents. Par exemple cette nouvelle formule des Cahiers de la BD est jugée « trop pointue » par les indécrottables tenants d’une bande dessinée commerciale et pas assez par les intégristes de la BD indépendante. Mais c’est le jeu. Les seconds ressemblant finalement aux premiers sur de nombreux points, ne serait-ce que parce qu’ils ont tendance à toujours râler quoiqu’il arrive.
Pourquoi avoir fait appel au financement participatif ?
Pour trois raisons : créer une communauté, faire du buzz et récolter des fonds. Le premier objectif a été atteint avec la constitution bienvenue d’un portefeuille de 500 abonnés à la parution du numéro 1. Le second aussi, grâce notamment à l’aura du titre. Le troisième était indispensable, avec près de 30 000 euros de contributions. D’autant plus si l’on considère les difficultés actuelles du distributeur de presse Presstalis. Lorsqu’on publie un trimestriel, le résultat des ventes en kiosque n’est versé à l’éditeur que six mois après la parution du numéro. Il faut donc être doté d’une bonne trésorerie.
Un organe comme Les Cahiers de la BD est-il encore nécessaire en France ?
Il faut croire, vu l’engouement sur le premier numéro. Il y avait une attente, c’est clair. En particulier, selon moi, de la part d’un nouveau lectorat, en partie féminin, si je considère la moyenne des abonnés.
La nostalgie de ce titre mythique fonctionne également, même si l’on peut penser que les lecteurs des années 1970 ne sont pas tous au rendez-vous, loin s’en faut. C’est un titre fort. Selon moi, il est évident que la bande dessinée, désormais célébrée sous les ors officiels de la République, exposée dans les plus grands musées, traitée médiatiquement de façon satisfaisante (quoiqu’en pensent certains grincheux), et ayant produit ces dernières années de nombreux chefs-d’œuvre, a plus que jamais besoin d’un support critique de qualité.
L’enthousiasme de la profession le confirme. Nous avons obtenus entre 18 et 20 pages de publicité payantes dans Les Cahiers de la BD numéro un et deux, ce qui n’est jamais arrivé en France jusque-là dans le cadre d’un journal sur la bande dessinée (et peut-être même ailleurs, je n’ai pas établi une nomenclature précise des pages de pub du défunt Comics Journal américain). J’ai également eu de nombreux retours d’éditeurs très satisfaits. Des gros comme des petits. Selon moi, tout le monde devrait tirer dans le même sens, celui de la bande dessinée. C’est le sens de l’histoire !
La BD reste un marché de niche qui doit faire face à de nombreuses concurrences culturelles. Notre ambition, aux Cahiers de la BD, est de pouvoir parler autant de Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion Montaigne que de Megg, Mogg & Owl de Simon Hanselmann. Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. Le reste, ce sont des querelles de chapelles qui ne m’intéressent pas du tout. Ce qui me meut, et qui est la source de cette entreprise, est de valoriser toujours et encore la bande dessinée dans son ensemble, tout en ayant l’ambition de défendre des œuvres de qualité.
Internet ne rend-il pas ce genre de publication plus difficile ?
Pas du tout. Au contraire ! La spécificité d’un journal est d’éditorialiser, c’est à dire d’organiser et de raconter l’information au moyen de nombreuses techniques journalistiques comme le rubriquage, l’iconographie, l’editing, etc. Toutes techniques qui sont rarement présentes sur Internet, ou du moins d’une autre façon.
L’un ne va pas sans l’autre, ça me paraît le grand enseignement de ces dernières années. Ainsi, Les Cahiers de la BD privilégient les formats longs, difficiles à lire sur écran, et cherchent à être pérennes et conservés en se détachant par exemple de l’information immédiate, qui est plus pertinente sur Internet, pour le coup. Et aussi : un journal papier de 576 grammes et 220 pages a un énorme avantage : il peut être archivé et transporté partout sans difficulté. C’est une super sortie papier de qualité qui n’a pas besoin d’une imprimante individuelle ni d’électricité.
Le second numéro porte sur les femmes. Un peu facile, non ?
Peut-être, mais nous avions décidé de ce sujet avant l’affaire Weinstein. Dans le même esprit que la ligne éditoriale évoquée plus haut, Les Cahiers de la BD privilégient les questions d’ordre généraliste aux problématiques particulières. Et il me paraît clair que cette thématique était et reste pertinente. La question posée par le numéro 3, qui sortira le 5 avril 2018, sera : « Art et BD, pourquoi ça marche ? » et le numéro 4, qui sortira fin juin, sera titré : « Peut-on encore parler d’amour en BD ? »
Chantal Montellier n’a pas apprécié…
Je reconnais bien là, cher Didier, votre goût pour la polémique et, rassurez-vous, je vais y pourvoir. Madame Montellier est dans son rôle. Depuis la parution du numéro 2 des Cahiers de la BD, elle me pourrit sur les réseaux sociaux comme une véritable « trolette ».
Cela dit, je m’y attendais. J’ai, paraît-il, eu droit à une élégante comparaison avec un tenancier de bordel. Pourquoi pas ? En fait, on se doutait de ce genre de sortie dès le choix de ce thème en Une. Du genre : « - Avec ça, on va se prendre Montellier ! ». C’est un peu comme quand on coche une case, en fait.
Car il était évident que Chantal Montellier ne pouvait prendre en considération la réalisation d’un dossier sérieux de près de 30 pages sur l’histoire et la place des femmes dans la bande dessinée, ce qui n’était jamais arrivé jusque-là dans la presse française. C’est une femme du passé qui, bizarrement, développe du ressentiment envers tout type d’initiative féministe dont elle estime qu’elle se sent écartée puisque, selon elle, elle en a été la pionnière incontestable. Trop occupée à vilipender la gent masculine, Chantal Montpellier ne se rend pas compte qu’elle est son propre ennemi.
Sans compter qu’elle véhicule des choses fausses, historiquement. Par exemple, elle évoque souvent Ah ! Nana, une publication à laquelle elle n’a seulement que participé, qui est traitée dans le numéro 2 des Cahiers de la BD, et était largement inspirée par les publications de BD féministes américaines antérieures. Madame Montellier prétend à tort et à travers que Ah ! Nana fut "le seul journal de bandes dessinées fait par des femmes… interdit par des hommes" et que la publication s’est interrompue en pleine ascension, ce dont elle paierait toujours les frais, en tant qu’autrice, près de 40 ans après.
D’abord, Ah ! Nana fut interdit de vente aux mineurs à cause d’un précédent dossier consacré à l’homosexualité et c’est une femme, représentante de l’Union nationale des associations familiales, qui a demandé l’interdiction en commission. Cette représentante n’avait rien à signaler à propos des précédents numéros. Mieux, cette interdiction n’a jamais mis en péril le journal, qui s’est arrêté tout net, sans historique de vente après coup. On peut donc penser qu’il s’agissait plutôt de la conséquence de méventes.
Métal Hurlant, qui était édité par le même éditeur, avait connu une interdiction aux mineurs auparavant, ce qui ne l’a pas empêché de continuer à vendre et de perdurer. Pour dire les choses autrement : Chantal Montellier est un boulet pour sa propre cause. Heureusement qu’il y a des autrices plus malignes, comme Claire Bretécher, Pénélope Bagieu, Florence Cestac, Catherine Meurisse, Tanx, Ulli Lust, Joanna Hellgren, Marie Gloris Bardieux-Vaïente ou Johanna Schipper, qui ont toutes accepté de participer aux Cahiers de la BD et qui on fait preuve d’une belle générosité en acceptant, soit de publier des pages, soit de répondre à des interviews.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Le N°2 des Cahiers de la bande dessinée ets en kiosque et en librairie.
Participez à la discussion