Vous venez de publier votre premier album de BD : Silencieuse(s). Comment est né ce projet ?
Sibylline Meynet : C’est Salomé Joly qui en est à l’origine. Elle a écrit un journal intime fictif pour son projet de fin d’études, Le journal d’Anaïs, qui raconte l’histoire d’une ado qui subit le harcèlement de rue au quotidien. Elle a récolté pas mal de témoignages de jeunes filles et de femmes un peu partout pour créer ce journal. Un ami de la famille de Salomé a fait le lien entre elle et notre éditeur PerspectiveArt9. Puis l’éditeur m’a contacté pour mettre cette histoire en images. C’est comme cela qu’est née la BD Silencieuse(s).
Pourquoi avez-vous choisi un sujet engagé pour vos premiers pas dans la BD ?
Parce que c’est un sujet qui me touche particulièrement. C’est un problème banalisé qui pourtant existe bel et bien. Lorsque j’ai su que la BD serait aussi distribuée dans les écoles et les bibliothèques, je me suis dit que c’était le moment d’en parler aussi aux jeunes, aussi bien aux garçons qu’aux filles.
Votre participation à l’album Silencieuse(s) est donc un acte militant.
Notre but est d’arrêter la banalisation du harcèlement de rue. Nous en sommes victimes tous les jours, et cette BD permet de montrer en images et en dialogues ce qui se passe psychologiquement chez les filles lorsqu’elles subissent le harcèlement de rue. C’est aussi un moyen pour les filles qui n’osent pas en parler de briser le silence. Beaucoup de filles grandissent en se faisant harceler dans la rue et pensent que c’est normal. Elles doivent comprendre qu’aucune forme de harcèlement est normale.
Quels étaient les points importants et les pièges à éviter pour que votre message puisse passer ?
J’ai d’abord lu l’histoire de Salomé que j’ai découpée en neuf chapitres. Je ne voulais pas que ce qui arrive à Anaïs, dans l’histoire d’origine, soit trop lourd à porter pour une seule fille, sur une centaine de pages. Nous avons donc décidé de raconter l’histoire de dix filles qui vivent en France, en Belgique et en Suisse.
Les pièges à éviter sont bien sûr les stéréotypes : tels types d’hommes qui harcèlent, telles femmes se font harceler... L’histoire se déroule d’ailleurs en hiver, les filles sont la plupart du temps en manteaux et portent un pantalon et de grosses écharpes.
Pourriez-vous nous présenter les principaux personnages Silencieuse(s) ?
On suit chaque personnage dans son quotidien, j’ai donc choisi de raconter des bouts de vie et d’introduire une scène de harcèlement de rue qui vient casser la journée du personnage, un peu comme dans la vraie vie.
On commence avec quatre lycéennes dont Anaïs. Elle ne s’entend pas avec son frère et fait du volley. Le soir en rentrant chez elle, un homme l’interpelle dans le bus. Il y a Mahé, qui se fait interpeller à une terrasse car elle porte une jupe. De son côté, Zoé est victime d’attouchements puis est suivie dans le métro. Julie quant à elle, se fait siffler par des hommes de chantier sur le chemin de l’école. Il y a aussi Lana, une femme active, qui est suivie jusqu’en bas de chez elle. Elle n’ose pas parler de son expérience traumatisante à son fiancé.
Agathe vient de recevoir une promotion. Elle décide de fêter la bonne nouvelle avec ses copines, mais un homme sur son chemin va la mettre mal à l’aise par rapport à sa tenue. Nous avons également Marion, une stagiaire, qui se retrouvera confrontée à un couple aux idées plutôt misogynes. Enfin, il y a Solène, la fille de ce couple justement, qui se retrouvera dans plusieurs situations délicates sans recevoir de soutient de la part de ses parents. Nous terminons l’histoire avec une fille sans nom. C’est à vous de découvrir le rôle de ce dernier personnage !
Ce début d’été a été marqué par la disparition de Simone Veil. Représente-t-elle quelque chose pour vous ?
Elle est l’icône de la lutte pour les droits de la femme. Pour moi et pour beaucoup, elle représente toutes les femmes.
Vous portez comme prénom le nom d’un célèbre personnage de BD et vous êtes la fille du dessinateur Félix Meynet... La BD et plus généralement une carrière artistique étaient-elles des évidences pour vous ?
Pas forcément la BD, mais le dessin oui. J’ai toujours dessiné, et travailler dans l’illustration était une suite logique pour moi.
Quel est votre parcours ? Avez-vous suivi des études artistiques ?
Je n’ai jamais fait d’études, j’ai eu mon bac, puis je me suis lancée directement dans le monde de l’illustration en freelance à 18 ans.
Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux. Avoir de nombreux followers vous aide-t-il à vous faire remarquer des clients, des éditeurs ?
Oui bien sûr. Je travaille surtout dans l’illustration, j’ai la chance d’illustrer des couvertures de comics américains par exemple, chez BOOM ! Studios et Valiant Comics. C’est grâce aux réseaux sociaux que les éditeurs remarquent les artistes et je pense que le nombre de followers aide beaucoup.
Vous avez participé à plusieurs projets en ligne en tant qu’illustratrice. Pourriez-vous nous parler de quelques uns de vos travaux ?
J’ai réalisé des illustrations d’héroïnes de DC Comics et Marvel Comics. Il s’agissait en fait d’un petit challenge que je m’étais lancé à moi-même il y a deux ans. J’ai dessiné à ma façon douze héroïnes, puis j’ai ensuite partagé mes dessins sur internet. Suite à cela, j’ai eu pas mal de réactions positives, dont Geek-Art, qui a inclus quelques unes de ces illustrations dans son troisième volume. Aujourd’hui nous travaillons ensemble sur une série de prints sur le thème des héroïnes de jeu vidéo. Plus tard, j’ai été contacté par Netflix pour faire une série d’illustrations de la série Orange Is The New Black pour la promo de lancement de la saison 2.
Est-ce facile de s’émanciper dans un milieu artistique lorsque l’on est “fille de...” ?
Oui, j’ai grandi en voyant mon père travailler dans son atelier. L’avantage, c’est de suivre la conception d’une BD, de voir les dessous d’un projet artistique et de comprendre les difficultés du métier. Après, il y a aussi des inconvénients, comme par exemple ne pas être prise au sérieux ou ne pas avoir de mérite parce qu’on est “la fille de”.
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille sur une BD avec ma sœur au scénario. Mais il encore un peu tôt pour communiquer davantage sur celui-ci.
Voir en ligne : Découvrez "Silencieuse(s)" sur le site des éditions PerspectivesArt9
(par Christian MISSIA DIO)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Sibylline Meynet
Crédit : © PerspectiveArt9
Logo : Sibylline Meynet & Salomé Joly
Crédit : © PerspectiveArt9
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