Guillaume, à la lecture de l’album, on peut supposer que vous êtes vous-même un amateur de Stefan Zweig ?
Guillaume Sorel : Effectivement, j’étais rentré dans les écrits de Stephan Zweig alors que j’étais étudiant. En toute coïncidence, j’avais le désir de le relire lorsqu’on me contacta pour réaliser ce projet. La voie était donc toute tracée.
Le public connaît vos univers inspirés, pour ne pas dire torturés. On pense par exemple à Mens Magna, Algernon Woodcock et entre autres L’Île des morts. Mais on ne vous aurait pas directement pressenti pour représenter le Brésil de l’après-guerre...
GS : L’éditeur de Casterman connaissait mon travail en profondeur, avec effectivement des aspects de celui-ci que le public ne maîtrise pas réellement. Puis, le projet de guide ’touristique’ centré sur la ville de Prague a sans doute également été un élément déclenchant. Enfin, j’ai toujours ressenti une attirance particulière pour les univers des écrivains, et cela me touchait de pouvoir mettre cela en scène.
Laurent, vous êtes auteur de nombreux romans. Pourquoi avoir voulu vous lancer dans l’adaptation de l’un d’entre eux, et de votre propre chef ?
Laurent Seksik : J’ai eu l’idée d’adapter Les Derniers Jours de Stephan Zweig car c’est une histoire si particulière, dans un pays fabuleux et un cadre féérique, que la mettre en page pourrait renforcer le propos du roman.
J’avais réellement les images en tête pour pouvoir l’adapter, et je désirais transformer ces images en planches d’albums. Je suis effectivement amateur de bande dessinée, un art que j’apprécie et je place très haut. Cette histoire pouvait être aussi bien racontée avec des images qu’avec simplement des mots, d’où l’envie de franchir le pas.
Comme nous l’évoquions, travailler avec Guillaume Sorel n’était pour autant pas automatique. Comment avez-vous ressenti ce choix ?
LS : L’émotion devait être traduite avec le bon dessinateur. Et J’ai été ébloui par son travail et sa maitrise du sujet. Cette histoire a rencontré une réelle résonance en lui. Une convergence, une sorte de magie s’est opérée entre nous pour donner ce résultat. À la fin, nous ne devions plus parler, une connivence totale et artistique s’était créée. Pour moi, c’est une expérience assez rare, surtout pour un écrivain qui est vraiment solitaire. Il s’ensuit une certaine grâce dans le travail qui se traduit directement dans l’émotion des planches, lorsque cette alchimie fonctionne.
Vous en parlez avec beaucoup d’emphase. Je suppose qu’adapter ou écrire pour la bande dessinée est un projet qui vous tient encore à cœur ?
LS : Oui, je voudrais renouveler cette expérience presque sensorielle. Il me tarde de retravailler avec Guillaume. Comme le sentiment, cette alchimie entre nous se reproduira peut-être, avec, je l’espère, un résultat qui rencontrera l’attente des lecteurs.
L’adaptation en bande dessinée n’est déjà pas un travail aisé, mais je suppose que c’est d’autant plus difficile lorsqu’il s’agit de travailler sur son propre roman ? Sur quelles bases pourrait alors porter votre future collaboration ?
L’adaptation a été un réel travail de re-création. Je réalisais un premier travail de découpage personnel et de scénarisation. Et après, j’incluais la vision personnelle de Guillaume, afin de développer un amalgame caractéristique. Le roman comporte déjà en lui-même un gros découpage, dans sa construction, et ce qui m’a poussé à en faire un album, avec cette vision très imagée que j’en avais.
Mais, je pense néanmoins avoir réalisé un réel travail d’auteur et je suis autant fier de ce premier scénario que de mon premier roman. Dans le futur, je voudrais donc retracer à nouveau le destin d’un personnage fictif ou réel. C’est notre envie.
Guillaume, dans votre bibliographie, on rencontre parfois des personnages tourmentés, avec une forte densité psychologique. Comment incluez-vous Stefan Zweig dans la continuité du travail que vous réalisez ?
GS : J’ai effectivement pas mal travaillé sur des aspect fantastiques dans la ligne de la littérature du 19e siècle. Mais plus récemment, j’ai eu plus tendance à laisser les scénaristes mener la trame, car je m’intéresse plus spécifiquement au cheminement de pensée des personnages. C’est pour cela que j’ai réalisé sur Mêle de mer moi-même. À ce niveau, Les Derniers Jours de Stephan Zweig est un cheminement logique par rapport à ma ligne de pensée. Pour autant, je demeure amoureux du fantastique. Mais Zweig m’a permis de mieux assumer ce qui était en devenir.
On a pu de nouveau apprécier votre travail sur les couleurs. Cela a toujours été un de vos atouts. On demeure pourtant dans un aspect plus réaliste que dans d’autres de vos albums ? Comment avez-vous abordé cela ?
GS : En passant du fantastique au réaliste, il a fallu que je modifie beaucoup de choses. Il y a bien entendu déjà un gros travail de documentation, pour retrouver des photos de cette période historique. Mais il a aussi fallu que je joue sur la lumière, le soleil, ainsi que de nouvelles perspectives par rapport à tout ce que j’avais pu réaliser auparavant. Cette réalisation m’a bousculé, dans le sens positif bien entendu, car j’ai changé de papier après avoir travaillé pendant vingt ans avec le même canevas. Chaque album est bien entendu une étape importante dans notre cheminement personnel, mais je pense que celui-ci marque un moment décisif dans mon travail.
Outre votre envie de prolonger la collaboration avec Laurent Seksik, vous avez donc également d’autres projets en devenir ?
GS : Oui, je suis en train de travailler sur un album plus intimiste qui se déroule dans un lieu unique, et dont je fais le scénario. Il y aura un certain lien avec les écrits de Thomas Owen, un ténor de la littérature fantastique belge. Je situe effectivement toute l’action en un seul endroit et je traite du rapport qu’entretienne tous les personnages d’un immeuble. Je m’étais d’ailleurs aussi beaucoup amusé en réalisant Mort à outrance avec Thomas Mosdi. Dans ce cas, il s’agira en quelque sorte du cheminement inverse.
(par Charles-Louis Detournay)
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