Seediq Bale, les Guerriers de l’arc-en-ciel est aujourd’hui la première bande dessinée taïwanaise traduite en français. C’est aussi le premier livre entièrement édité par les éditions Akata fondées par Dominique Véret.
Enfin, Seediq Bale s’expose à Bruxelles jusqu’au 27 octobre au Centre Belge de la Bande dessinée
On dit qu’on n’explore pas le passé sans vouloir éclairer le présent. Qu’avez-vous voulu éclairer avec Seediq Bale ?
Quand j’ai commencé à m’intéresser à la révolte des Seediqs, je constatais que les aborigènes à Taïwan souffraient d’un grave manque de respect. Par exemple, lorsque des Taïwanais d’origine chinoise construisaient un hôtel en montagne, ils ne rencontraient pas de problème. En revanche, lorsque des Seediqs établissaient une échoppe ou un petit restaurant, ils étaient victimes de nombreuses tracasseries administratives. Je me suis dit que raconter leur révolte pouvait servir à quelque chose.
Depuis, la condition des Seediqs et des autres aborigènes de Taïwan s’est elle améliorée ?
Oui. À l’époque les peuples aborigènes n’étaient pas encore reconnus comme les premiers habitants de l’île de Taïwan. On les dénommait les "habitants des montagnes".
Depuis mon premier jet sur Seediq Bale, il y a 25 ans, ils ont obtenu une reconnaissance officielle. Une commission gouvernementale s’occupe de leur condition et de leur respect. Il reste bien sûr quelques problèmes, notamment sur des questions de terres dont ils revendiquent la propriété alors qu’elle est aujourd’hui celle du gouvernement. Quand il s’agit de parcs nationaux, cela soulève la question de leur droit de chasse.
Pensez-vous que votre livre a participé à cette amélioration ?
Ce dont je suis certain, c’est que la parution de ma bande dessinée a aidé les aborigènes à prendre une meilleure conscience d’eux-mêmes et de leur culture, notamment de la part des les jeunes
S’agit-il d’une bande dessinée atypique dans les productions de Taïwan ?
Lors de sa publication, une telle bande dessinée n’existait pas à Taïwan. Elle était unique dans son format, sa présentation et son sujet. La grande majorité des bandes dessinées taïwanaises ressemblent à des productions japonaises qui, elles-mêmes, occupent la première place de notre marché. Il reste une petite frange de créateurs qui s’engagent sur des voies plus originales. Commercialement, l’importance de ma publication reste marginale, mais son influence est toute autre. Le mot Seediq bale signifie "homme véritable". Je peux rêver que ma bande dessinée soit une véritable bande dessinée taïwanaise.
Avant même d’être traduit en français, Seediq Bale a été primé au Festival international de la bande dessinée d’Alger, puis à celui de Chambéry. Avez-vous une explication pour un tel engouement ?
J’ai d’abord été très surpris par ces distinctions. Je crois que, malgré les différences culturelles, le besoin de reconnaissance et de respect est universel et intemporel. Une bande dessinée est facilement perceptible par tout le monde. J’ai choisi ce moyen d’expression en pensant aussi aux aborigènes âgés qui sont souvent analphabètes. Je me suis dit que, grâce au dessin, ils comprendraient que je parle bien d’eux et de personne d’autre.
Seediq Bale a-t-il reçu d’autres échos en dehors de Taïwan. Notamment au Japon ?
En 1993, un éditeur japonais "de gauche" a adapté Seediq Bale. Son influence est restée limitée aux milieux progressistes. Certaines écoles ou institutions "de gauche" ont placé son étude à leur programme. Mais dans l’ensemble la société japonaise est assez conservatrice, elle n’aime pas être trop bousculée par ces histoires de massacres.
Et en Chine continentale ?
Seediq Bale peut faire penser aux ravages provoqués par l’armée impériale japonaise en Chine quelques années plus tard. Mais si les autorités chinoises étudient beaucoup l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, elles ne s’intéressent pas à la répression envers les Seediq. L’état chinois a déjà beaucoup de problème vis-à-vis de ses propres minorités ; évoquer une minorité à Taïwan serait embarrassant.
D’après la biographie fournie par votre éditeur, après la publication de Seediq Bale, vous avez continué à vous intéresser aux aborigènes de Taïwan principalement par le biais de la production de films documentaires. Comptez-vous revenir à la bande dessinée ?
Je poursuis mon travail à la fois par la bande dessinée et le documentaire. Ce n’est pas facile. Pour le dessin, ma vue faiblit et je ne peux plus produire de récits au long cours. Pour le cinéma, l’argent vient parfois à manquer, je passe beaucoup de temps à chercher des financements.
Avez-vous participé à l’adaptation de Seediq Bale au cinéma (une production de quatre heures en deux épisodes qui a remporté un grand succès à Taïwan, ndlr)
J’y ai participé, essentiellement en tant que conseiller artistique pour les costumes et les décors. Wei Te-Sheng, son réalisateur était le preneur de son du documentaire que j’ai filmé sur la Révolte de Wushe. Ce film a aussi été important pour changer positivement le regard de la population taïwanaise sur les peuples aborigènes. Ils incarnent maintenant la résistance à l’occupant.
Que vous inspire la publication de Seediq Bale en français ?
Seediq Bale évoque l’histoire d’une minorité de Taïwan. Or, il est possible que de nombreux francophones connaissent très peu Taïwan. Je suis content que certains apprennent qu’un jour un petit peuple de Taïwan a pu se sacrifier ainsi pour défendre sa liberté, ses valeurs et son mode de vie.
(par Laurent Melikian)
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Commander Seediq Bale, les guerriers de l’arc-en-ciel à la FNAC
Photo en médaillon : (c) L Mélikian
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