Comment en êtes-vous venu à l’idée de cette parodie ?
J’ai été en contact avec une grande quantité de parodies dès l’enfance. Mad Magazine en était truffées. Cette idée de prendre un élément de la culture populaire et de le tourner en dérision est quelque chose que j’ai apprécié tout jeune, que ce soit à la télévision ou dans le magazine National Lampoon. Ce que je fais aujourd’hui prolonge cette disposition enfantine.
Vous avez étudié la bande dessinée ?
J’ai été en école d’art. J’ai un peu fréquenté la School of Visual Arts [1] mais j’ai obtenu mon diplôme à la Parsons New School of Design [2] Mon prof, Steven Guarnaccia, connaissait Art Spiegelman et Françoise Mouly et, grâce à cela, j’ai pu réaliser mes premières BD pour Raw alors que j’étais encore étudiant. J’étais super-honoré, car j’adorais Raw qui était LA revue en vue chez tous les graphistes dans les années 1980.
Lors de l’un des cours qui m’avaient été dispensés à la School of Visual Arts sous la direction de Paul Karazik, j’avais fait un parodie d’un texte de John Cage, en usant comme il le fait de matériaux existants : j’avais utilisé le style des Funny Animals. C’était en 1989. Cela intéressa mes profs comme Spiegelman qui me commanda des BD dans le même esprit, c’est à dire un mixage entre les classiques de la littérature et ceux de la BD. J’ai multiplié ce genre de travaux pour Raw Magazine, pour des recueils comme Snake Eyes...
Et cela a donné ce livre...
Oui. En 2000, j’ai rencontré l’éditeur canadien Drawn & Quaterly. Il était intéressé de publier un recueil de ces différents travaux.
Comment arrivez-vous à exprimer votre propre identité au travers de celles de tous ces artistes que vous parodiez ?
Je me sens comme un acteur qui doit incarner un grand texte ou un personnage, je prends ces parodies comme des dérivés de mon propre style lorsque j’entreprends de les dessiner. Ce qui m’intéresse au fond, c’est que le travail soit bien fait et l’effet d’amusement réussi.
Cette façon aussi d’aborder les grandes œuvres avec ironie, ce n’est pas une façon d’exorciser le complexe d’infériorité qu’elles suscitent chez vous ?
Bien sûr que oui ! Lorsque j’étais étudiant, le temps était au post-modernisme, à l’opposition entre la "haute" culture et la "basse" culture (Hight Culture / Low Culture), les Beaux-arts contre la culture populaire, etc. Il y avait une exposition sur ce sujet au Museum of Modern Art aux alentours de 1990. Raw également travaillait pour la promotion de cette bande dessinée qui représentait une portion congrue dans les statistiques de vente dans ce temps-là ou qui était considérée comme "vulgaire" comme Nancy de Ernie Bushmiller qui était une bande dessinée très intelligente et très bien faite mais qui était déconsidérée parce qu’elle s’adressait principalement aux enfants. J’ai voulu me référer à de telles œuvres et en même temps aux chefs-d’œuvre de la littérature qui est l’un des Beaux-arts, exactement comme le faisait Mad Magazine dans les années 1950 en parodiant la Joconde par exemple.
Certaines de vos travaux ont d’ailleurs fait l’objet d’une place à part dans le cadre de la grande exposition sur la parodie au Musée de la BD d’Angoulême, l’année dernière. Cela vous a fait plaisir ?
Je suis très flatté. Je constate que la perception culturelle a beaucoup changé aux États-Unis depuis que j’ai commencé ces parodies. À l’époque, certains membres de l’Establishment trouvaient cette approche insultante, mais aujourd’hui, on voit des pédagogues s’en servir pour présenter ces pages à leurs élèves comme une introduction ludique à ces chefs-d’œuvre. Cela fait bizarre de constater cela. Dans le même ordre d’idée, retrouver ces planches dans un musée en Europe montre avec quel sérieux on aborde la BD ici en comparaison avec les USA. Je trouve que c’est une bonne chose pour le public de pouvoir appréhender une production artistique avec différents niveaux de lecture.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos de D. Pasamonik (L’Agence BD)
[1] École fondé par Silas H. Rhodes et Burne Hogarth en 1947. Elles eut comme prof aussi bien Milton Glaser que Will Eisner ou Art Spiegelman.
[2] École américaine dont sont issus aussi bien Norman Rockwell que Edward Hopper, Jasper Johns que Tom Ford et Ai Weiwei.
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