Dans ce récit, Seamus et Sill Valt sont à la recherche de la Fée Sanctus. Tandis qu’une morigane, une sorcière, s’échappe de sa geôle avec la complicité d’un apprenti des Chevaliers du Pardon. Elle s’apprête a conclure un pacte avec Guinéa Lord, un seigneur des ténèbres…
Comment avez-vous été associé à la suite de la « Complainte des landes perdues » dont le premier cycle avait été mené par Dufaux et Rosinski ?
Lors de la parution du premier tome, un ami libraire, Emmanuel Hermans, m’a montré le tirage de tête de cet album. Il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit que je devrais un jour dessiner ce genre d’histoire. Quelques années plus tard, il m’a présenté à Jean Dufaux et nous avons créé ensemble Murena. J’ai enchaîné les trois premiers albums jusqu’au jour où mon éditeur chez Dargaud, Yves Schlirf et Jean Dufaux, m’ont demandé de reprendre cette autre série…
À l’époque, vous étiez pourtant considéré comme un dessinateur laborieux et continuellement en retard. Pourquoi a-t-il pensé à vous alors ?
Mon rythme de travail changeait ! J’étais reparti sur de bonnes bases. D’ailleurs, j’aligne depuis lors un album par an sans le moindre problème. Cela dit, je n’aurais jamais accepté s’ils m’avaient demandé de reprendre la Complainte des landes perdues en endossant le style graphique de Rosinski. Il a un trait puissant, énergique, qui lui est propre. Yves et Jean m’ont demandé de dessiner cette histoire à ma manière. Je voulais alors travailler en couleur directe, d’une manière traditionnelle. Je pensais naïvement que j’en aurais pour douze mois de travail ! Il m’en fallu vingt-cinq pour boucler l’album ! Moriganes, le cinquième tome de la Complainte. Cela a été une expérience fatigante, mais j’étais heureux d’y être arrivé. Rosinski appréciait mon travail, même s’il trouvait que j’en faisais trop ! J’ai repris une cadence plus régulière pour Murena grâce à l’aide d’un coloriste.
Jérémy Petiqueux, qui est également votre assistant …
Oui. Il m’a aidé sur le cinquième et le sixième album de Murena. Il fait un travail remarquable. J’apprécie énormément les ambiances froides qu’il a incorporées aux scènes qui se passent dans la neige. On sent les ciels gris et bas. Il a réalisé les couleurs du sixième Complainte. J’ai bouclé l’album en treize mois, au lieu de vingt-cinq. L’éditeur était content, et moi aussi (Rires). Jérémy a réalisé les couleurs d’une manière traditionnelle, en les posant sur du papier aquarelle.
Intervient-il dans le dessin ?
Il m’aide dans les perspectives. Cela peut paraître anodin, mais les calculs des perspectives demandent du temps. Je lui donne les angles et lui parle de ma vision de la case. Nous avons une discussion très technique, et il commence à dessiner les lignes de fuite. Je dessine et j’encre les dessins, et j’appose le lettrage dès le crayonné. Il le met au net. Les seules couleurs que je réalise encore moi-même sont celles des couvertures. C’est mon petit plaisir !
Dans le reportage inclus dans le DVD qui était vendu avec le sixième album de Murena, on pouvait remarquer que vous vous serviez de plaquettes représentant le corps humain pour les attitudes !
Oui. Je les utilise pour gagner du temps. Je pourrais dessiner sans ces artifices, mais nous sommes dans une époque où il faut aller vite. Ce n’est pas toujours évident d’avoir une personne qui pose pour soi. Parfois, je fais des séquences photographiques avec mon assistant ou des amis. Ceux-ci miment alors des combats en se déguisant en barbare ou chevalier. J’utilise ces clichés selon les besoins du scénario. Cela me permet de saisir directement la position la plus naturelle pour un mouvement. Il ne faut pas copier le cliché, sinon le résultat dessiné risque d’être statique ! Il faut passer au-delà de la photographie pour y mettre sa touche personnelle. Cela peut être, par exemple, une exagération dans le mouvement, pour accentuer la dynamique !
L’éditeur présente La complainte des landes perdues comme étant un récit d’Heroïc Fantasy. Cela ne me semble pas être le cas.
Effectivement, ce n’est pas une histoire d’Heroïc Fantasy dans le sens commun du terme. Jean Dufaux ne souhaite pas utiliser trop abondamment les codes du genre. Nous sommes plus dans un moyen-âge fantastique, avec bien évidemment des êtres étranges, des sorcières. Nous explorons davantage les tréfonds de l’âme humaine, en étant plus proches des personnages que de monstres.
Nous accordons beaucoup d’importance aux rapports humains. Les démons que nous représentons sont plus des démons intérieurs, des démons qui sont à l’intérieur des hommes ! Les éléments sont troqués, sont troubles. Nous posons beaucoup de questions sur les personnages. Ceux qui semblent bons, ne le sont pas forcément ! Certains possèdent des pouvoirs, mais ils ont aussi leurs failles, leurs travers, leur pendant négatif !
Seamus, le personnage central de La Complainte a également des côtés négatifs. Ils seront développés plus tard !
Vous travaillez depuis plus de dix ans avec Jean Dufaux…
Ce fut un coup de foudre ! Une amitié très forte est née de cette collaboration. Nous travaillons tous les deux sincèrement, sans chercher à tirer à nous la couverture. Notre relation est basée sur le partage. Jérémy, mon assistant, est venu rejoindre cette osmose. Il est dans le même état d’esprit que nous. Jean et moi-même avons gardé un esprit « très gamin ». Nous nous amusons avant tout, et on travaille pour le plaisir.
Était-il interventionniste avec vous au début de votre collaboration ?
Il a été révélateur pour beaucoup de choses ! Rencontrer Jean n’a pas été qu’un tournant dans ma vie professionnelle, mais aussi dans ma vie affective. C’est quelqu’un qui compte beaucoup pour moi. Nous vivons un tel partage, une telle amitié, que je n’ai pas envie de commettre une infidélité avec un autre scénariste ! Je suis heureux de dessiner un album de la Complainte après deux Murena. Ce sera notre rythme pour ces séries…
Pas trop déçu que votre coloriste, Jérémy Petiqueux, vous fasse une infidélité avec Jean Dufaux en direct ?
Pas du tout ! C’est une suite logique. Jérémy est dessinateur avant d’être coloriste ! Il a raison de travailler avec Jean, et d’en profiter !
(par Nicolas Anspach)
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Philippe Delaby, sur actuabd.com, c’est aussi :
Des chroniques d’albums :
Murena T4, T5 et T6
Complainte des landes perdues T5
Une interview : « Pour Murena, les beaux jours ne sont plus là » (Juin 2007)
Commander sur Internet le T2 de la "Complainte des landes perdues"
Illustrations extraites du T6 de la "Complainte des landes perdues" - (c) Delaby, Dufaux & Dargaud.
Photos (c) Nicolas Anspach
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