La Belgique est dans un marasme politique durable et menace de se diviser. Si cela se réalise, une famille risque de se retrouver sans emploi : la famille royale belge. Pourtant, elle manœuvre du mieux qu’elle peut pour préserver sa dotation, cherchant un autre territoire sur lequel elle pourrait exercer son royal pouvoir...
Dégelée royale est une caricature trash de la famille royale belge, sur fond de crise politique et existentielle du pays. Pourquoi avoir décidé d’aborder ce sujet avec Thierry Robberecht ?
Thierry voulait réaliser une caricature humoristique de la famille royale. En nous apercevant que les éditions Glénat avaient publié Albert & Co, nous avons décidé de changer d’angle d’attaque. Nous sommes partis vers un axe qui ne ferait aucune concession, tant au point de vue du ton de l’humour que celui du dessin. Lors de mes études de dessin, j’ai été familiarisé avec la linogravure. C’est une technique de gravure assez brute, proche de la gravure sur bois. J’avais réalisé à l’époque des caricatures des souverains belges, Baudoin et Fabiola. Thierry a vu ces dessins et cela l’a inspiré. Nous fonctionnons beaucoup en « ping-pong ». Il aime regarder mes carnets, les dessins que je fais pour m’amuser ou pour essayer une technique. Cela l’inspire !
Il n’est pas venu avec un scénario construit ?
Non, pas tout de suite. Le postulat de départ était de travailler sur la famille royale. Très vite, nous avons opté pour une histoire plus engagée, plus mordante. Nous avons commencé à y travailler vers le mois d’octobre 2009. L’actualité politique était déjà assez chaude. Les questionnements par rapport à la pérennité de famille royale belge étaient déjà existants.
Au moment où j’ai terminé les dernières pages de Zack & Willie, les éditions 12Bis m’ont proposé d’illustrer l’histoire de la droite française en BD. Je n’étais pas porté par ce sujet et je ne ressentais pas les personnages. J’ai donc refusé. La caricature demande un certain travail. Il fallait que je sois en osmose avec le sujet, que je ressente une certaine affection. Les éditions 12Bis se sont spécialisées dans les BD thématiques et politiques. Ils m’ont demandé si je ne voulais pas illustrer un sujet dans cette veine. Cette demande tombait à pic. Nous leur avons proposé Dégelée royale ! Le hasard fait bien les choses !
Vous dites que la caricature demande « de l’affection ». On ne caricature que ce que l’on aime ?
Je pense ! Enfin, je ne vais quand même pas vous dire que j’aime la famille royale belge. Mais elle symbolise la Belgique de mon enfance qui est en train de s’effilocher, de partir en miette. J’ai une affection pour ce que représente la famille royale, tout en étant contre le principe de la royauté qui est un système obsolète ! Mais en Belgique, elle garde un petit sens. Elle est le symbole de l’unité du pays.
Vous avez opté pour un dessin humoristique avec un encrage assez lourd.
Oui. Je voulais apporter une certaine dureté aux planches ! Je voulais que l’on ressente la tristesse, la colère que j’éprouve par rapport à la situation politique belge. Comme beaucoup, je trouve cette situation pénible. Je suis plutôt idéaliste. Dégelée royale est une farce et je devais apporter un côté plus dur, plus tragicomique ! Nous avons fait cet album d’instinct, en ayant une vibration entre l’histoire et le dessin, tout en conservant notre colère !
On reconnaît les membres de la famille royale belge. Mais par contre, vous avez inventé les politiciens
Nous avons hésité à reprendre les politiciens belges. Mais le climat politique en Belgique est tellement incertain que le gouvernement risquait de changer trois fois durant la réalisation de cet album (Rires). Nous avons donc inventé de nouvelles personnalités.
N’avez-vous pas hésité à dessiner certaines scènes. A certains moments, vous y allez fort...
Non. Je ne me suis pas posé cette question. Ma femme a trouvé qu’à certain moment, je n’étais pas « cool » avec eux. Je ne me suis pas retenu. J’ai bien sûr gommé certaines choses qui n’étaient pas pertinente par rapport au sujet. La caricature ne peut pas être gentille, donc elle est fortement méchante. Cela peut être délicat de caricaturer des personnes que l’on ne connaît pas. On ne sait pas le mal que l’on peut leur faire. J’ai déjà fait pleurer quelqu’un avec une caricature. Cela m’a foutu les boules ! Depuis lors, je fais attention. Les membres de la famille royale sont des personnes publiques qui font une sorte de « propagande ». Je ne m’attaque pas à eux personnellement, mais à leur image. Si cela se trouve, Fabiola est une brave dame… ou une peau de vache ! Mais je m’en fiche.
Vous travaillez depuis longtemps avec Thierry Robberecht, mais cela ne vous empêche pas de faire des infidélités.
J’ai travaillé avec Sergio Salma sur un album intitulé Bagdad K.O. Ce que j’ai fait avec Sergio m’a nourri, et cela a eu une influence sur la perception que Thierry pouvait avoir de mon dessin. À l’époque, je traversais une période difficile. Je venais de perdre mes parents et j’étais d’une noirceur sans égale. Je n’avais aucune envie de réaliser une bande dessinée « gentille ». J’ai demandé à Sergio de m’écrire un projet. J’ai changé mon trait. Lorsque Thierry a vu les planches, il s’est rendu compte que mon style pouvait être plus dur, plus cynique.
Voyez-vous une différence dans la manière d’écrire entre Sergio Salma et Thierry Robberecht ?
Sergio Salma est un homme d’image. Thierry pense en mots, en phrases, même s’il a une écriture qui suggère les émotions et les images. Cela se ressent surtout dans ses romans. Sergio, lui, pense en images. Notre collaboration a été difficile au début, car j’ai l’habitude de réaliser moi-même la mise en scène de mes planches. Sergio avait des exigences que je n’avais pas l’habitude de rencontrer. Il a fallu un temps d’adaptation pour accepter ce que l’autre souhaitait. Nous avons tous les deux envie de retravailler ensemble, peut-être pour L’Écho des Savanes. Il faut que nous trouvions le temps pour cette nouvelle collaboration. J’ai commencé un nouvel album pour 12 Bis…
Les éditions 12 bis ont publié dernièrement un album reprenant les planches de « Zack & Willie » parues dans Spirou…
Les éditions Dupuis ne voulaient pas en faire un album. J’ai l’impression qu’ils ont préféré la série Ado Star qui surfait sur la même vague. Mais ils ne nous ont jamais réellement donné la raison de l’arrêt de Zack & Willie. Nous avons proposé aux éditions 12Bis de reprendre le concept de cette série, mais en l’anglant d’une manière différente. On voulait donner un ton plus adulte ! Ils ont adoré l’idée, mais 12 Bis ne souhaitait pas jeter les pages faites pour Spirou. Nous avons donc réalisé les quinze dernières pages pour compléter l’album.
Vous êtes donc repartis sur un album d’humour chez 12 Bis.
Oui. Il sera dans la même veine que « Robert Parker et les sept péchés capitaux » que Bercovici et Simmat viennent de publier chez eux. Ils m’ont demandé d’illustrer un album de BD qui critiquera les guides consacré à la gastronomie et aux restaurants étoilés. Mon éditeur, avec ce type de livre, vise un autre lectorat que les lecteurs traditionnels de BD. Je suis comme de nombreux auteurs, je me pose beaucoup de questions par rapport au marché de la BD. À quoi cela sert-il de dessiner les quarante-six planches d’un album qui ne se vendra pas ? Le marché de la BD est très difficile pour le moment. Il est toujours possible de signer des projets à droite et à gauche, et donc d’avoir du travail, la question n’est pas là. Je ne fais pas ce métier pour l’argent, mais j’ai quand même envie d’être lu. Bref, j’ai envie que mon travail plaise à plus de trois mille personnes ! Avec ce livre sur la gastronomie, j’ai un peu l’impression de faire œuvre utile. J’ai envie de faire quelque chose de différent pour essayer d’atteindre un public plus large.
Vous travaillez depuis quelques années avec Benoît Bekaert, alias BenBK.
Oui. Ma femme a mis en couleurs les premiers albums de La Smala, mais elle ne pouvait plus assumer ce travail. Benoît a repris la série en cours de route. J’ai commencé à l’impliquer réellement dans le choix des couleurs à partir de Zack et Willie, tout en lui interdisant certaines choses. Par exemple, dans cette série, je ne voulais pas de dégradé. Ce qui n’était pas facile compte tenu de mon encrage qui est légèrement « anguleux ». Pour Dégelée royale, j’ai travaillé à la tablette graphique. Je scanne le crayonné, puis je dessine les blancs, et les noirs apparaissent en dessous. Je dessine la lumière en quelque sorte, comme si je travaillais avec la technique de linogravure traditionnelle. Mon encrage est donc plus dur que dans Zack et Willie. J’avais travaillé de manière traditionnelle pour cette série. Je n’avais plus de surprise avec l’encrage traditionnel. C’est pour cette raison, que je me suis mis en danger en utilisant l’outil informatique d’une manière un peu nouvelle.
J’avais également utilisé la tablette graphique pour Bagdad K.O. J’avais opté pour des tons monochromes et je coloriais de la même manière que je posais mon encre. Le résultat était à la fois graphique et nerveux. J’avais peur que Benoît n’arrive pas à trouver un juste équilibre entre la couleur et le dessin, car il devait redessiner en couleur à certains endroits. J’avais une idée très précise du résultat vers lequel je comptais arriver. Mais nous avons heureusement trouvé une juste mesure !
(par Nicolas Anspach)
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Marco Paulo, sur Actuabd.com, c’est aussi :
La chronique de Bagdad K.O
Une interview :
"La famille est notre source d’inspiration" (avec Thierry Robberecht, novembre 2007)
Et aussi :
"Quand la BD aide les jeunes homos à sortir du placard" (Mai 2005)
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Illustrations : (c) Marco Paulo, Robberecht & 12 Bis
Photos : (c) Nicolas Anspach
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