Le quatrième album de Frank Lincoln, « Kodiak » a été coécrit avec Serge Perrotin. Pourquoi avoir fait appel à lui pour cette histoire ?
Une exposition à Paris, consacrée aux masques de l’île de Kodiak, m’avait donné envie de placer une intrigue dans cette région de l’Alaska. Par manque de temps et d’idée, j’ai demandé à Serge Perrotin, qui est un ami, de m’écrire une histoire à ce sujet. Il connaissait bien l’Amérique du Nord. À l’époque, il venait de terminer la série Lance Crow Dog, qui racontait les enquêtes d’un jeune agent du FBI au sang-mêlé. Cette collaboration a été ponctuelle. Le prochain album se déroulera au Japon, et je me chargerai moi-même du scénario…
Vous avez dessiné l’Alaska sous toutes les saisons dans Être Libre et Frank Lincoln. Y avez-vous été ?
Non. Toujours pas ! Contrairement à mon ami Christophe Chabouté qui s’y est rendu plusieurs fois pour y pêcher le saumon. Il m’a prêté ses photographies. D’ailleurs, dans le troisième album de Frank Lincoln, on peut l’apercevoir essayant d’attraper l’un de ces poissons. Je me suis rendu deux fois aux États-Unis et deux fois au Canada, mais jamais en Alaska. Ma passion pour cette région découle de mes lectures d’enfant, et particulièrement des romans de Jack London. Ce territoire est trois fois plus grand que la France et n’est habité que par un demi-million de personnes. C’est une terre sauvage, vierge et rude. Elle mérite d’ailleurs bien son surnom : la dernière frontière !
On vous a reproché, dans différentes critiques, le côté racoleur de Frank Lincoln. Chaque album contient une scène érotique.
C’est une réminiscence des romans policiers américains de type Hard-Boiled. Je revendique cette influence, qui mélange action et sexe. Je recherche à divertir le lecteur sans aucune prétention !
Vous publierez prochainement une histoire dessinée par VoRo aux éditions Vents d’Ouest.
L’Été 63 a été dessiné avec beaucoup de sensibilité par ce dessinateur. VoRo utilise une technique mixte, de la vraie-fausse couleur directe. Il crayonne et réalise sa mise en couleur à l’ordinateur, ce qui rappelle un peu les effets des couleurs de Jean-Pierre Gibrat. Il s’agit d’un drame. Les deux personnages principaux sont deux adolescents : Le jeune Parisien Jeannot et sa demi-sœur vietnamienne Lihn. L’action commence en Indochine, en pleine guerre, et se poursuit à Paris. Avant de s’installer enfin dans le cœur de l’Auvergne, dans la région du Livradois-Forez précisément. Ce récit se base beaucoup sur les conflits psychologiques. C’est une grande nouveauté pour moi. En effet, j’écris plus généralement des histoires avec des méchants sur-armés, des avions qui s’écrasent, etc. (Rires). Il me faut donc compenser cette absence d’artifices par un rythme impeccable et des dialogues justes. Cette BD comportera deux tomes. Cette histoire est actuellement celle qui me tient le plus à cœur parmi toutes celles que j’ai écrites ou dessinées.
Lors d’une précédente rencontre, vous nous parliez de Kongo, votre prochain projet avec Christian Perrissin, destiné aux éditions Dargaud. Est-ce toujours d’actualité ?
Hélas, non ! Je me consacre à Voyageur pour l’instant. Mais c’est une histoire que j’aimerais dessiner un jour, si Christian ne trouve pas un autre dessinateur d’ici là. A propos de Christian Perrissin, j’ai adoré son Martha Jane Cannary. Ce scénariste est le meilleur portraitiste de femme dans la BD actuelle. Il m’a probablement influencé ou inspiré pour Les Pirates de Barataria, la série que j’écris pour Franck Bonnet (à paraître bientôt chez Glénat), et qui raconte la vie mouvementée de deux jeunes femmes pirates. Le récit se situe au début du XIXe siècle à la Nouvelle-Orléans et s’inspire de l’histoire vraie de Jean Laffite.
Que dessinerez-vous après le Voyageur ? Le nouveau Lincoln ?
C’est ce que j’avais prévu… Mais Le Lombard m’a proposé un projet difficile à refuser, et je devrais dessiner deux albums pour cette série conceptuelle. Aussi, je me suis décidé, plutôt que de reculer encore de deux ou trois ans le prochain Lincoln, voire à laisser mourir ma série sans l’avoir conclue, à chercher un dessinateur pour reprendre la suite. Je crois que je viens de le trouver d’ailleurs.
Parlons de « Voyageur », votre actualité en tant que dessinateur…
Pierre Boisserie et Eric Stalner sont des amis de longue date. Ils tenaient à réaliser ce projet en compagnie d’auteurs avec lesquels ils avaient beaucoup d’affinité. Ils m’ont parlé de leur projet qui comportait treize albums. Les quatre premiers ont été illustrés par Éric. Je dessine actuellement le cycle du « Présent » et quatre autres dessinateurs réaliseront les quatre albums du cycle du « Passé ». Guarnido conclura normalement la série par un treizième album.
Qu’est-ce qui vous plaisait dans le cycle « Présent » de Voyageur ?
Le synopsis m’a emballé. L’histoire contient des personnages forts et du rythme. Le côté fantastique me plaisait également. Je n’avais encore jamais abordé ce genre. Pierre m’a donné, en même temps que le synopsis du cycle, le scénario dialogué des quinze ou vingt premières planches du premier album. Je l’ai dévoré et j’ai été emballé ! J’ai donné mon accord pour dessiner le cycle « Présent » après avoir refusé un an auparavant, alors que « Voyageur » n’était qu’en l’état de projet.
Pouvez-vous lever le voile sur le deuxième album du cycle « Présent » ?
Lou-Mark va suivre Clara chez Mac, où ce dernier va l’étudier afin de comprendre sa capacité de téléportation. Fish, d’abord déboussolé par le Paris actuel, va vite y trouver ses marques et recruter quelques étudiants écolo et altermondialistes dans le but de reformer le groupe terroriste V.
Peu de personne le savent, mais vous avez énormément travaillé pour la publicité, tout en alignant un à deux albums par an pour vos éditeurs.
La publicité m’apprend à aller graphiquement à l’essentiel car les délais sont généralement très serrés. J’ai notamment livré une page tous les mois, durant trois années, pour le magazine L’Entreprise. J’y dessinais avec un style proche de la Ligne Claire. J’ai appris à épurer mon dessin en analysant le style de Jacobs. Et puis, ne nous en cachons pas : la publicité me permet de mieux gagner ma vie !
Vous semblez avoir du plaisir à vous associer à d’autres. Est-ce une nécessité ?
C’est avant tout un plaisir. J’aime travailler seul, comme sur « Être Libre – Dernière Frontière » ou sur « Frank Lincoln », mais j’aime aussi associer mes capacités – dont je connais les limites – avec des auteurs qui peuvent m’apporter quelque chose. Les albums que j’ai préférés dessiner sont les Barbe-Rouge, en grande partie parce que Christian Perrissin est un exceptionnel scénariste. Et le scénario du diptyque L’Été 63 est mon travail d’écriture le plus personnel et abouti, dessiné par VoRo avec une sensibilité dont je suis bien incapable.
Vous évoquiez une nouvelle série avec Frank Bonnet. D’où vient votre goût pour la piraterie ? Aviez-vous un goût de trop peu suite à l’arrêt de Barbe-Rouge ?
En fait, je n’ai pas de goût particulier pour la piraterie, mais pour les récits d’aventure en général. J’ai écrit « Les Pirates de Barataria » sur mesure pour Frank Bonnet, qui rêvait de dessiner des navires du début du XIXe siècle, et qui le fait magnifiquement bien ! Mais cela ne m’empêche pas de m’amuser énormément à écrire cette histoire. Je ne suis pas nostalgique de Barbe-Rouge, même si j’ai adoré le dessiner, et même si je pense que Dargaud a fait une belle bourde en nous demandant d’arrêter la série à Christian et à moi. D’autant plus que ça leur a du même coup fait perdre deux auteurs qui ne marchent pas trop mal actuellement...
(par Nicolas Anspach)
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Photo : (c) Nicolas Anspach
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