Il faut l’avoir vue, de ses yeux vue, Madeleine, poétesse, journaliste, correspondante de guerre, et surtout, très tôt dans sa vie, résistante. C’est une force en mouvement, une volonté faite femme, qui va atteindre aux prochains Jeux Olympiques de Paris (elle n’aime pas que l’on dise son âge) le cap vénérable du siècle. Et, elle a vécu dans ce siècle, vu de ses yeux vus, jusque sous la torture, les incarnations du registre lexical que nous venons de décliner : des singulières ordures à damner l’Humanité jusqu’aux héros qui, eux, ne sont pas de papier.
Madeleine a été communiste, respectable idéal très vite dévoyé, syndicaliste, anticolonialiste, féministe, l’une des premières à témoigner de la condition du personnel hospitalier. Elle entre dans la clandestinité sous le pseudonyme de « Rainer », en hommage au poète Rainer Maria Rilke, un Allemand, car elle sait distinguer les Allemands des nazis…
Elle raconte sa vie dans Madeleine, Résistante (notez la majuscule à « Résistante ») et a trouvé avec le scénariste Jean-David Morvan son porte-voix comme son porte-plume. Car sa mémoire est précise, factuelle, circonstanciée. Nous sommes dans une forme de journalisme historique, respectueux des faits. Morvan recoupe, enquête, vérifie, documente… Et puis raconte avec l’aide de Madeleine. Nous n’allons pas déflorer ici la vie incroyable de celle qui croisa Paul Eluard, Pablo Picasso, Hô Chi Minh, mais qui travailla aussi pour le journal Vaillant, l’ancêtre de notre Pif Gadget... Pour l’heure, c’est encore la guerre, le combat au corps à corps avec l’occupant, avec des figures de héros de l’ombre, « terroristes » avilis, comme Missak Manouchian, figure de la fameuse Affiche rouge.
Une fois le travail fait par Morvan, arrive Dominique Bertail, qui met l’histoire en images. Jusqu’ici Bertail, dessinateur virtuose, épatait. Là, il subjugue. Il faut avoir vu ses dessins agrandis sur plusieurs mètres de haut à la Gare d’Austerlitz pour se rendre compte de l’incroyable précision -mais aussi de la beauté !- de son graphisme décliné dans un sublime camaïeu bleu-Delft. Le portrait de Madeleine -confrontez-le aux documents d’archive- est sidérant. Il est en grande partie l’un des responsables de la réussite de ce trio épatant.
Grâce à eux, on touche à la réalité de la Résistance, pas un truc en toc, un commentaire dispensé dans le confort des plateaux TV, une rodomontade de plastronneur galonné, mais une résistance de tous les jours, qui voit tomber un à un ses camarades, et qui espère que la « bête immonde » ne vienne pas la dévorer. Dans le registre lexical que nous déclinions tout à l’heure, voici une bande dessinée qui nous donne, dans sa vérité et sa nuance, la véritable définition du mot « résister ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Madeleine, Résistante T. 2 : L’édredon rouge – Par Madeleine Riffaud, Jean-David Morvan et Dominque Bertail – Dupuis / Aire Libre - 136 pages couleurs.
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