Pourtant le scénariste de Pierre Tombal, des Tuniques Bleues, des Psys, de L’Agent 212 et des Femmes en Blanc, mène une vie simple et discrète. A près de 70 balais, il continue de se rendre deux jours par semaine dans la rédaction du journal de Spirou. Il nous parle avec Laudec du best-seller qu’ils ont créé ensemble : Cédric.
Raoul Cauvin, parmi toutes vos séries, Cédric n’est-elle pas celle qui vous permet de parler le plus de vous-même ?
RC : Oui. Cette série parle de la famille. Tous les personnages de Cédric sont inspirés de mes proches. La mère de Cédric, par exemple, ressemble à s’y méprendre à l’épouse de Laudec. Et puis, je me sers également de mon passé, de ma jeunesse, pour nourrir certains gags…
Dans quelle situation par exemple ?
RC : Eh bien, les billets de tombolas existent encore, et il est donc logique que Cédric en vende. Tous les enfants de l’âge de Cédric ont déjà été amoureux. La série est également calquée sur l’environnement de la famille. Cédric n’aime pas les louveteaux. Mais combien d’enfants n’aiment pas les mouvements de jeunesse ?
Pour quel personnage avez-vous le plus de sympathie ?
RC : Le grand-père. C’est le personnage le plus charismatique, et puis il a une façon particulière d’aimer son petit-fils, de le regarder vivre…
TL : Cédric m’inspire le plus. Je me retrouve tout à fait en lui. C’est moi, quand j’étais jeune !
Est-ce que l’adaptation audiovisuelle de Cédric a changé votre manière de percevoir ce personnage ?
RC : Les ventes ont explosé grâce à cette adaptation. Mais cela n’a pas influencé ma réflexion quant à cette série, quant à ma manière de percevoir Cédric. Il est certain que nous sommes heureux que cette expérience ait eu lieu. C’est une cerise sur le gâteau ! Mais d’un autre côté, je perds un peu mon personnage. D’autres scénaristes se l’approprient. Je n’ai regardé que quelques épisodes du dessin animé. Ils ne sont pas basés sur mes scénarios. Nous avons rencontré les scénaristes et avons discuté avec eux. Ils ont dû suivre leur style, qui diffère du mien …
Avez-vous un droit de regard sur leur travail ?
TL : Oui. Nous avons essayé de l’utiliser. Notamment pour le choix des voix et des musiques. Mais nous nous sommes vite rendus compte que nous n’avions qu’un avis consultatif, contrairement à ce qui était indiqué dans les contrats. Nous avons bien sûr, un droit de regard plus important sur le scénario, mais pour le reste nous perdons l’emprise… Au total, nous avons refusé une dizaine de synopsis !
RC : De toute façon, nous n’avons pas à être dépendants, en tant que créateurs des personnages et auteurs de la série, du dessin animé. Je continue à réaliser mes gags comme je l’ai toujours fait ! Tôt ou tard, l’adaptation audiovisuelle de Cédric prendra fin ! Il faut que nous continuions sur notre lancée, en séparant la série originelle et le dessin animé. Ce sont deux styles, deux approches différentes !
Tony Laudec, vous avez modifié votre méthode de travail pour cet album…
TL : Oui. Dans ma carrière, j’ai changé deux fois ma manière de travailler. Avant Cédric, je travaillais à la plume. Je souhaitais rendre mon dessin un peu plus nerveux et caractéristique pour Cédric. Mon style graphique était alors trop classique, proche de celui de l’école de Marcinelle et de celle de Liège. J’ai donc opté pour le marqueur. Depuis peu, je dessine sur une palette graphique, de mes crayonnés à l’encrage final !
Vous semblez perdre l’aspect tremblé qui était si caractéristique dans votre trait…
TL : Je n’ai pas encore réussi à m’adapter totalement ! Je nourrissais certaines craintes quant à l’ordinateur. J’avais peur de mal faire. Résultat des courses, je m’applique beaucoup plus, et je fais trop bien. C’est un problème (Rires). En fait, il faudrait que je sois plus détendu pour réaliser mes traits. Mais je suis heureux, je découvre une nouvelle manière de travailler, et j’apprends tous les jours de nouvelles techniques !
Les couleurs ne sont pas plus vives ?
TL : Non. Pas du tout ! Les éditions Dupuis ont opté pour un papier de plus grande qualité pour l’impression des albums. Les couleurs paraissent de ce fait beaucoup plus vives. Mais leur gamme chromatique n’a pas changé.
Raoul Cauvin, on s’aperçoit que finalement peu de scénaristes optent pour le gag, le court récit humoristique…
RC : Oui. J’apprécie beaucoup ce genre. Et je sais que l’on ne sera jamais primé dans des festivals ! L’humour est très mal vu dans la bande dessinée. Les auteurs qui travaillent avec moi sont condamnés !
Quel regard portez-vous sur votre métier à l’heure de la surproduction ?
RC : Il n’y avait que quelques centaines de nouveautés par an lorsque j’ai démarré dans le métier. Aujourd’hui, quatre mille albums paraissent chaque année. La jeune génération d’auteurs doit s’accrocher. Nous avons la chance d’avoir commencé avant. Mais malgré tout, nous subissons le contrecoup de cette surproduction. Les libraires ne savent plus où ranger l’ensemble des titres des séries dans les rayonnages. Ils ne prennent bien souvent que quelques titres parmi les 22 tomes de Cédric ou les 53 albums des Tuniques Bleues. On le ressent dans les ventes
Raoul Cauvin, un bon nombre de vos séries sont devenues des best-sellers, mais vous avez également quelques échecs à votre actif… Comment vivez-vous l’arrêt d’une série ?
RC : Difficilement. On m’a sucré dernièrement deux séries. Je me sens responsable de ces arrêts. Ces dessinateurs m’ont fait confiance en travaillant avec moi. Je me pose donc beaucoup de questions par rapport à mon propre travail sur ces séries. C’est quand même le boulot de deux dessinateurs qui était en jeu. Moi, je m’en sors toujours…
C’est donc, une responsabilité morale que j’assume très mal. C’est facile pour un éditeur de rayer quelqu’un. Parfois à juste titre parce que les chiffres de vente sont insuffisants. Mais moi, je vois que ces dessinateurs sont complètement effarés et effondrés par cette situation.
Lorsqu’une série ne recueille pas la confiance du public, ce n’est pas forcément à cause de la qualité du travail de l’auteur ou de l’éditeur. Vous avez du succès avec Cédric ; en revanche, Taxi Girl [1] n’avait pas marché …
TL : Non. C’est différent. A l’époque, le directeur éditorial n’aimait pas la série. Les ventes étaient moyennes, mais correctes et viables. Mais l’éditeur n’était franchement pas enthousiaste. Et puis, le dessin animé de Cédric commençait à se profiler, et nous n’avons pas pris le temps d’insister…
RC : Et dire que deux de mes séries, Cédric et L’Agent 212 étaient mal vues par les rédacteurs en chef qui étaient place au moment où je les ai créées… Elles cartonnent aujourd’hui !
Vous avez le sens de l’amitié. On raconte que vous vous êtes battu corps et âme pour réaliser une nouvelle série avec Arthur Piroton. Dupuis avait arrêté sa série principale, Jess Long, et le dessinateur se retrouvait dans une fâcheuse posture. Malheureusement le destin en a décidé autrement…
RC : Oui. Arthur était heureux de repartir. Il avait fait quelques dessins. Je me souviens encore de son dernier appel téléphonique, un vendredi. Et il est décédé trois jours après. En 1996, je me suis fait enguirlander par certaines personnes chez Dupuis lorsqu’on leur a proposé ce projet. Je savais pourtant qu’il était condamné, mais je voulais faire cette série avec lui.
Aujourd’hui, les lecteurs acceptent un style graphique plus spontané. N’avez-vous pas envie de dessiner vos scénarios ?
RC : Non. Je respecte trop le public pour dessiner moi-même. Il faut rester à sa place. Je n’ai pas la force graphique de Lambil, de Laudec ou de Kox.
(par Nicolas Anspach)
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[1] Ndlr : Deux albums parus (en 1994 et 1996)
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