À coup de force, coup de force et demi ! Dès avant le week-end, en coulisse des 8e Rencontres du 9e Art à Aix-en-Provence où L’Association accrochait son exposition-anniversaire, d’intenses conversations avaient lieu entre fondateurs et conciliateurs pour essayer de faire en sorte que l’Assemblée Générale prévue lundi matin à 10 heures ne se termine pas en pugilat.
La crise couvait, on le sait, depuis longtemps. On dénombre, nous a-t-on dit, une quinzaine de tentatives de conciliation depuis le début de l’année, avec des médiateurs comme Emmanuel Guibert, Étienne Lécroart ou Morvandiau connus pour leur modération. Rien n’y avait fait. Les divergences entre l’équipe dirigeante de L’Association en pleine turbulence à cause de la fermeture de l’ancien distributeur de l’éditeur parisien, le Comptoir des Indépendants (aujourd’hui remplacé par l’excellent diffuseur-distributeur Les Belles Lettres), du déclin des ventes contrastant avec le « miracle » de Persepolis, et puis d’une grève-surprise des salariés en janvier 2011 à Angoulême, a rouvert des plaies qui s’étaient mal refermées.
Un Bureau à la Prévert…
Surtout, les fondateurs, Lewis Trondheim, Killoffer et David B en tête, se montrèrent très actifs pour crever un abcès qui n’avait cessé de s’infecter ces dernières semaines, en particulier en raison d’une absence d’un organe de gestion clair, JC Menu apparaissant comme le dirigeant de la structure, alors qu’il n’en était plus officiellement le gérant. Une AG devait clarifier et régulariser cette situation.
Chacun avait fourbi ses armes : La présidente de L’Association, Patricia Perdrizet et JC Menu avaient constitué une liste composée, outre de Menu, de proches de « l’humble dictateur graphique » (cf. Bandelettes) du label associatif : Étienne Robial, le fondateur de Futuropolis, son mentor, Guillaume Dégé, professeur à l’ESAD de Strasbourg, et des « membres d’honneur » parmi lesquels un conservateur de musée, une ex-agent d’illustrateurs, une dataire du Collège de Pataphysique [sic] ou un consultant en organisation d’entreprise associative…
Cette Assemblée était d’autant plus importante qu’aucune AG n’avait eu lieu depuis des années, le bureau s’étant constitué de « membres d’honneur » dont la nomination était à la fois discrétionnaire et parfaitement opaque. La liste proposée par la présidente ajoutait à cela le fait qu’elle ne prévoyait aucune alternative, alors même qu’elle était réclamée par les autres fondateurs de la structure et par un bon nombre d’adhérents de longue date et que l’ordre du jour de l’Assemblée ne comportait qu’un seul point : la nomination d’un Bureau choisi par Menu et ses alliés.
Position inacceptable pour les anciens fondateurs qui sollicitèrent un huissier accompagné d’une sténo afin d’acter les débats et les votes. Le Bureau accepta leur présence et d’en partager les frais, dans la mesure où un huissier était une garantie d’impartialité, les deux parties venant par ailleurs avec leurs avocats respectifs.
Avant même l’ouverture de l’AG, les adhérents étaient prévenus par un tract du Comité de défense de L’Association : « Cette assemblée générale, c’est n’importe quoi ! Cet ordre du jour, c’’est n’importe quoi ! Cette liste de membres d’honneur, c’est n’importe quoi : Menu propose des gens qui, pour la plupart, sont étrangers à l’histoire de l’Asso ! On vous propose de voter directement pour un conseil d’administration composé de personnes incontestablement légitimes, à savoir les sept fondateurs : David B, Killoffer, Mattt Konture, Menu, Mokeït, Stanislas et Lewis Trondheim . » Le tract ajoutait : « Cette liste est soutenue par tous les salariés. » Ce CA serait provisoire, le temps de constituer une liste élargie qui serait soumise à la prochaine Assemblée.
Contraintes juridiques
Le problème est que cette proposition ne s’est pas faite dans les règles : Elle doit faire l’objet d’une communication préalable adressée en même temps que la convocation à l’AG. On se trouvait donc devant cette aporie : d’un côté nous avions une liste produite dans les formes mais illégitime aux yeux de la plupart des fondateurs et des adhérents : « Tu n’es qu’un prête-nom, les auteurs dealaient avec Menu ! » hurla Killoffer à Patricia Perdrizet qui se piquait de sa qualité de présidente ; de l’autre, une liste proposée au vote – et contestée par un de ses membres : Menu, qui n’avait pas été consulté pour y figurer- mais dont la forme juridique n’était pas respectée. « C’est une énorme bouillabaisse ! » constata le Lider Maximo, particulièrement excédé.
Il s’ensuivit trois heures de palabres, dont la présentation assez lénifiante d’un bureau qui essuya les quolibets. Robial, s’adressant aux anciens fondateurs, les traita de « déserteurs ». Mokeït, représentant des salariés, parlant de Menu, dit de lui qu’il est « un roi élu devenu un roi de droit divin ». Charles Berberian –simple membre mais aussi auteur de la maison- souligna que le travail de Menu n’était pas en cause : « Les livres que j’ai achetés et qui m’ont donné le plus de plaisir ces dernières années ont été publiés par L’Association », dit-il. David B souhaita voir « L’Ascension du Haut Mal » éditée en intégrale par L’Association « mais pas par JC Menu éditeur sous couvert de L’Association » précisa-t-il.
Finalement, la présidente accepta publiquement que les listes soient fusionnées et demanda à l’Assemblée de lever la séance pendant une demi-heure le temps que l’huissier procède au décompte des pouvoirs (procurations de vote données par les personnes absentes aux personnes présentes). À la reprise de la séance, la présidente avait changé d’avis : elle se rangeait derrière le formalisme qui consistait à ne voter que pour la seule liste qui avait été actée par le bureau, à savoir la sienne. Un véritable coup de force.
Sortir du « piège »
La salle gueula. Les avocats des deux parties échangèrent leurs points de vue, évidemment inconciliables sans procès. Berberian parla de « piège » : « Vous nous avez fait lanterner pendant trois heures pour nous obliger à voter pour vous ! » arrivait-il à faire entendre dans la clameur. À ce moment, Killoffer, flamboyante grande gueule, monta sur scène et invita chacun à voter pour l’une ou l’autre liste en faisant fi du formalisme juridique, l’Assemblée, convoquée régulièrement, étant légitime. On passa donc au vote, chaque adhérent devant choisir 7 membres dans l’une ou l’autre des listes. Le dernier à voter fut JC Menu qui dut remplir lui-même les 58 bulletins que lui attribuaient ses pouvoirs.
Au bout de deux heures, le dépouillement se faisant devant témoins (la présidente et la secrétaire générale de l’Association, un salarié et deux adhérents), on compta 226 bulletins procédant de la liste des salariés et 78 bulletins de celle du Bureau, soit au total 304 votants. En consolidant les votes nominaux des deux listes, JC Menu, présents sur les deux propositions, fit l’objet d’un véritable plébiscite, dont voici le décompte :
JC Menu : 297 voix
Killoffer : 223 voix
David B : 222 voix
Mokeït : 222 voix
Lewis Trondheim : 221 voix
Mattt Konture : 220 voix
Stanislas : 219 voix
On voit bien que c’est clairement la « liste des salariés » qui emporte l’adhésion puisque le Bureau « officiellement » proposé se retrouve bien loin derrière :
Etienne Robial : 81 voix
Guillaume Dégé : 79 voix
Stéphane Distinguin (entrepreneur) : 79 voix
Zab Chipot (secrétaire générale) : 76 voix
Patricia Perdrizet : 61 voix
Dominique Radrizzani (Conservateur du Musée de Vevey en Suisse) : 28 voix
Barbara Pascarel : 22 voix
Laetitia Zuccarelli : 2 voix.
Isabelle Thierry-Rival : 0
3 bulletins ont été considérés comme nuls.
Maintenant, de deux choses l’une : soit Menu et le Bureau acceptent l’expression de ce « coup de force » démocratique peu regardant sur la forme juridique, mais légitime, et l’on se dirige vers une reconstruction des structures de cet éditeur avec le collège de ses fondateurs, les membres du CA s’entourant d’une équipe qualifiée en termes de gestion et d’organisation de l’entreprise ; soit les dirigeants actuels prennent le risque d’attaquer ce vote en justice, ce qui ne fera qu’enfoncer plus encore l’un des plus beaux fleurons de l’édition contemporaine française.
Nous ne manquerons pas de vous tenir informés de ces développements.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Le compte-rendu de L’AG sur le site de soutien "Longue Vie à L’Association"
(13 avril 2011)
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