Quel a été votre parcours avant Journal Infime, le premier album de Lou ?
J’ai commencé ma carrière en travaillant pour la publicité, puis j’ai dessiné pendant des années des personnages sous licence pour une société spécialisée dans la carterie. J’y ai notamment dessiné Titi et Grosminet.
Ensuite, lors de l’apogée de la « net économie », je me suis spécialisé dans les « webtoons » et dans les animations développées en Flash pour Internet. Tout le monde s’emballait et pensait qu’Internet avait un très grand potentiel économique. J’ai suivi le mouvement et je rêvais d’y faire fortune (rires). Mes contrats qui me liaient à mes clients ont été rompus le même jour ! J’ai donc travaillé pour des jeux vidéo produits par TF1...
Puis vient votre rencontre avec Jean-Claude Camano, le directeur de collection de Tchô.
Il avait vu mon travail sur mon site Internet, et m’a demandé de travailler pour le magazine Tchô. C’est assez cocasse car, parallèlement à cela, les éditions Dupuis me contactèrent pour réaliser différents dessins animés en Flash. Ils se préparaient à lancer Spirou.com ! J’y ai réalisé quelques épisodes de Indien et Pinguin.
Après un an de collaboration, Jean-Claude m’a incité à lui présenter une série pour le magazine. L’idée m’a séduit, et j’ai réalisé la première planche de Lou (la cinquième de l’album), sans avoir de canevas. La création de la série a été totalement improvisée. J’y présentais le chat, Lou... et sa grande sœur ! Un auteur de Tchô a vu les premières pages, et m’a soufflé l’idée de faire de ce personnage la maman de Lou...
La création de la série a vraiment été intuitive et naturelle. Le premier album est finalement assez autobiographique.
Vous êtes pourtant un homme.
La plupart des histoires naissent de mes souvenirs, ou de ceux de mes proches.
Etes-vous plus proche de Lou ou de sa mère ?
Un analyste freudien prendrait beaucoup de plaisir à répondre à votre question (rires). La mère de Lou est un mélange entre ma femme, ma propre mère et... moi. Tandis que Lou est mélange entre mon enfance et celle de ma femme.
Ma fille est née peu de temps avant la création de la série, et je m’aperçois que, bizarrement elle ressemble de plus en plus à Lou. C’est effrayant ! (rires)
La mère de Lou semble totalement dépassée par les événements et se réfugie derrière sa console de jeux vidéo. Finalement, c’est Lou qui tient le ménage.
Contrairement aux apparences, Lou a douze ans ! Je n’ai jamais abordé le passé de mes personnages, mais je pense que la mère a été extrêmement dévouée pour sa fille dans le passé. Lou est devenue indépendante, et sa mère se relâche complètement. Elle revit en quelque sorte une adolescence qu’elle n’a jamais vécue totalement...
Votre graphisme est fort pictural. Quelles sont vos influences ?
Je suis admiratif du travail de beaucoup d’auteurs, mais je n’arrive pas à comprendre leur manière de travailler. J’apprécie beaucoup Hergé pour l’extrême perfection qu’il apportait à son travail, pour sa lisibilité et son découpage. Les albums de Sfar et de Trondheim m’enthousiasment également. Ils me donnent envie de travailler. Leurs générosités se reflètent dans leurs livres. Par contre, je suis beaucoup plus influencé par le dessin animé et le cinéma.
Votre trait est pourtant particulier et ne se rapproche pas des autres auteurs du magazine Tchô.
J’utilise une technique qui est plus employée dans le dessin animé et l’illustration. Je colorie mon trait, cela me permet de le camoufler car il n’a rien d’exceptionnel. Mais c’est vrai : cette technique est devenue un style, et cela me permet d’apporter de la douceur à mes dessins.
La couverture de Journal Infime, le premier album, fait très « fleur bleue ».
Oui. C’est à la fois un avantage et un défaut. Une petite fille va rapidement remarquer cet album dans un magasin. Mais certaines personnes n’auront également pas envie de lire le livre pour cette même raison. Pourtant le contenu de l’album n’est pas du tout « fleur bleue ». La couverture du second album est verte, et plus bucolique...
Je suis souvent énervé lorsqu’on me dit que Lou est une série destinée aux petites filles. C’est totalement faux ! Elle peut être lue par tout le monde...
Aborderez-vous le problème de la sexualité ?
Sans doute ! J’en parle déjà un peu dans le deuxième album. Une planche traite de l’éveil à la sensualité, mais c’est encore une notion fort abstraite pour Lou...
Vous traitez également des relations amoureuses. Lou et sa maman ne savent pas très comment s’y prendre avec les garçons...
Effectivement. Si vous lisez attentivement le Journal Infime, vous verrez que l’album a été écrit de manière symétrique. Elles sont toutes les deux célibataires au début du livre, puis vivent une histoire d’amour avant de la voir interrompue à la fin de l’album. Cette construction est encore plus flagrante dans le deuxième album, Mortebouse. Elles partent à la campagne et sont confrontées à des situations que j’ai déjà abordées dans le premier album. Je réutilise donc certains gags, mais en tenant compte de leur évolution. Ce qui donne un ton totalement différent !
Le lecteur peut lire chacun des gags indépendamment des autres, mais l’ensemble des planches forme une histoire.
Cela s’est décidé au fur et à mesure de la création de l’album. Cela ne m’intéressait pas de raconter une succession de gag sans instaurer un lien entre ces scénettes. Je veux faire évoluer les personnages, et il me semblait plus opportun de créer une histoire autour de Lou et de sa maman.
Le premier album a été « bricolé ». Les planches de Journal Infime ont été dessinées dans le désordre, et j’ai essayé de donner une cohérence à l’histoire petit à petit. La planche quatorze, par exemple, est la dernière que j’ai réalisée pour cet album. Le graphisme est plus évolué que pour les autres.
Parlez-vous de vos histoires avec des femmes pour mieux comprendre leur enfance ?
Mon épouse est en quelque sorte mon directeur de collection adjoint. Je lui montre tous mes roughs et elle les valide. Je l’écoute beaucoup. Mais j’essaie de ne pas trop me poser de questions. Je ne pense pas que l’enfance d’une petite fille soit si différente de celle d’un garçon.
Quel a été l’accueil de ce premier album ?
Le premier tirage a été rapidement épuisé. L’accueil est donc positif. Et puis, Journal Infime, le premier album, a reçu le prix jeunesse 9/12 ans au Festival International de la BD d’Angoulême. Cela m’a fait plaisir, mais aussi ce prix a entraîné un sentiment de gêne. Je considère que cet album n’est pas abouti.
(par Nicolas Anspach)
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Illus (c) Neel, Glénat.
Photo de l’auteur (c) Nicolas Anspach
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