« Chris Ware – La bande dessinée réinventée » est l’un de ces lires intelligents qui fleurissent de temps en temps au printemps des librairies qui, pour le Neuvième Art, démarre à la fin du mois de janvier à Angoulême comme on sait. C’est là que nous avons rencontré le co-auteur du livre, Jacques Samson, un érudit canadien qui enseigne au Québec et qui nous a déjà gratifiés de bon nombre d’écrits sur l’art séquentiel dont un brillant Little Nemo, un siècle de rêves, toujours aux Impressions Nouvelles.
Quel est le projet de cet ouvrage ?
C’est à la fois un essai monographique qui donne à la fois le point de vue de Chris Ware au travers d’une entrevue menée par Benoit Peeters lors du film qu’il a réalisé sur cet auteur. Il a retranscrit toute l’interview, y compris les chutes, ce qui fait beaucoup plus de matériel que ce que l’on voit dans le film. En plus, nous avons traduit en français quatre textes de Chris Ware parce que c’est un homme qui connaît très bien la bande dessinée et qui a une manière de parler de son art assez exceptionnelle. J’ai eu envie de lui donner la parole. J’ai préparé, pour ma part, des repères biographiques et bibliographiques, et puis j’ai fait une étude de son œuvre, pas mal centrée autour de Jimmy Corrigan mais aussi Rusty Brown et les œuvres qui viennent après.
En quoi Chris Ware est-il un auteur important ?
Le titre de notre livre est : « La bande dessinée réinventée ». C’est quelqu’un qui a, à la fois, une capacité à raconter –c’est d’abord un conteur- mais il ne va jamais rien sacrifier sur le plan pictural, que ce soit le dessin, la mise en page, la maquette. C’est quelqu’un qui adore les livres, qui adore l’imprimé et qui intervient à tous les niveaux dans la conception de l’ouvrage. Tout est fait encore à la main, c’est un véritable artiste et en même temps un conteur. Il révolutionne à ce titre la bande dessinée dans la mesure où il raconte des choses qui sont radicalement différentes des comics que l’on rencontre aux États-Unis et, par rapport à la bande dessinée en général, par rapport à la bande dessinée dite de genre : l’aventure, le fantastique, le biographique, etc. Lui, il est en dehors de tout cela. Il est sincèrement préoccupé par le temps, par la manière dont on le fabrique, dont il nous fabrique. Quand on entre dans l’univers de Ware, on entre dans une terre inconnue, dans un univers totalement nouveau.
On le désigne parfois comme un héritier de la Ligne Claire. Qu’en pensez-vous ?
Dans un sens, oui. Mais dans la mesure où ses histoires ne sont pas des aventures dans le sens habituel du terme, comme on parle des « Aventures de Tintin », cela n’en est pas. Chez lui, c’est plutôt « l’inaventure », il ne s’y passe rien. Cela parle du temps, des émotions, des sensations, des perceptions. Si la Ligne Claire, c’est aussi une manière de raconter dans aventures, comme le suggérait Hergé, alors Chris Ware n’est pas dans la Ligne Claire. Mais si l’on doit l’envisager sous une forme graphique qui tend vers une abstraction de l’ego, un peu comme le faisait Hergé qui aimait beaucoup que son dessin ne laisse pas transparaître ce qu’il était lui, comme artiste. Il voulait soumettre son dessin à quelque chose d’autre qui était la narration, le récit. Dans ce sens là, il se rapproche d’Hergé..
Propos recueillis par Didier Pasamonik en janvier 2010.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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