C’est quoi cette histoire : chez Glénat, il y a des Bruegel, des Fantin-Latour... ?
C’est une vérité que tout le monde connaît. Vous voyez bien qu’ici, au couvent Sainte-Cécile, il y a des tableaux partout, offerts à la vue des visiteurs et du personnel.
Ces tableaux appartiennent à qui ?
À différents propriétaires : à la Fondation Glénat, à moi-même, à mes enfants auxquels j’ai fait un don, aux éditions Glénat, à des prêteurs particuliers, et à des musées partenaires quand il y a une grande expo.
Mon but n’est pas d’enfermer les œuvres dans un coffre mais de les partager et de les faire vivre avec tout le monde.
C’est quoi cette fondation ?
Une Fondation est une entité juridique qui n’appartient à personne, c’est-à-dire que les choses qui sont à la Fondation n’appartiennent qu’à la Fondation.
Une fondation, pour ses fondateurs, peut être en quelque sorte la finalité d’une collection. Quand vous avez passé votre vie à collectionner des choses, vous vous demandez finalement ce que vous allez en faire. Je connaissais un grand collectionneur de meubles à qui sa femme a demandé s’il pensait se faire enterrer dans une de ses commodes ! Moi, j’ai collectionné par passion et j’ai envie que tout le monde en profite, donc la Fondation est un moyen pour que tout soit protégé et conservé, et que tout le monde puisse en bénéficier. Mon bonheur, c’est de voir des classes d’enfants qui viennent visiter nos expositions au couvent et qui s’assoient par terre pendant que la professeure des écoles leur explique les tableaux. Quand je passe dans le cloître, j’écoute tout cela avec un très grand plaisir.
Mes enfants sont bien d’accord avec le but de la Fondation. Ce n’est pas de thésauriser, d’autant que les jeunes d’aujourd’hui sont moins attirés par la peinture ancienne. Le mobilier du XVIIIe qui figure dans nos collections a vu ses côtes s’effondrer en dix ans, car le goût des commodes est passé.
Par ailleurs, je croise cette passion des belles choses avec des thématiques historiques et locales. Par exemple, en rassemblant les meubles de la dynastie des ébénistes Hache qui sont grenoblois. C’est la même chose pour Fantin Latour qui est né à Grenoble. Si je me suis beaucoup intéressé aux peintures de la période flamande, c’est en raison de leur côté fantastique que l’on retrouve par exemple chez Bruegel et Bosch dont des tableaux nous ont été prêtés par des musées européens, et chez beaucoup d’autres. Je trouve que cela ressemble beaucoup à de la bande dessinée.
Il y a aussi des peintures de Gustave Doré dans vos collections...
Bien sûr, Gustave Doré est très proche de la bande dessinée, lui aussi. C’en est même un des pionniers. Il a fait beaucoup de gravures fantastiques, il a travaillé dans la presse…
Est-ce que l’exposition InterDuck - L’Art du canard ?, actuellement sur vos murs, est organisée par la Fondation Glénat ?
Tous les évènements qui se passent dans le Couvent Sainte-Cécile sont organisés par le Fonds de dotation Glénat.
Pourquoi ces deux entités ?
Elles ont deux missions et deux statuts différents. La Fondation met en valeur les collections, le patrimoine local, distribue des bourses à de jeunes artistes pour la création dans la BD, la photo, l’écriture, le numérique, etc.
Par exemple, le Conseil Départemental verse une aide pour les expositions avec des musées du département.
Le Fonds de dotation peut recevoir des dons privés.
Ici nous avons de généreux donateurs. Par exemple, quand la Fondation a acheté la très belle commode de Hache réalisée pour un parlementaire du Dauphiné au 18e s., on a mis en place une urne et tous les Grenoblois qui connaissent cette dynastie d’ébénistes, car ils ont tous quelqu’un de leur famille qui possède un objet de celle-ci, ont tous laissé un chèque et bénéficié d’un reçu fiscal.
Toutes ces expos sont un moyen de mêler vos collections à la bande dessinée ?
Le but est de valoriser la BD comme un art majeur. Bien sûr, on ne va pas faire une exposition qui n’a rien à voir avec ce que nous publions. Parmi les expositions que nous avons montées, il y a « La grimace du monde - Le fantastique entre Bosch, Bruegel et la bande dessinée » ou encore « Tables et festins - L’hospitalité dans la peinture flamande et hollandaise du XVIIe siècle et la bande dessinée ». A la fin de cette année, ce sera « Fashion attitude » - L’histoire des vêtements de loisir en montagne » qui consistera à exposer l’histoire de la mode des sports d’hiver, parce que les éditions Glénat publient aussi des livres sur la montagne. À chaque fois, nous cherchons des sujets dans nos domaines de compétences.
Combien faites-vous d’expositions par an ?
Une grande exposition de peinture et bande dessinée par an et plusieurs plus petites. Cette année, c’est « L’Art du canard » qui marie la peinture et l’humour de la BD ; l’année dernière, c’était la thématique des natures mortes et l’année d’avant, c’était le fantastique.
L’année prochaine, nous préparons une exposition sur Venise où Guardi, Canaletto et Zoran Music côtoieront Hugo Pratt et Griffo à l’occasion de la sortie du nouveau Giacomo C. de Griffo et Dufaux. Plus des expositions de BD, de photos, des conférences (Pascal Bruckner, Luc Ferry, Frère Samuel…), des concerts, etc.
Nous voyons aussi dans vos collections des cartes anciennes et des affiches ?
Oui. Une belle collection d’affiches touristiques (car le PLM, le Paris-Lyon-Marseille, vantait la beauté des excursions à Chamonix et dans la région) décore les bureaux de la maison d’édition grenobloise.
N’y a-t-il pas un risque de confusion par le public avec toutes ces activités culturelles ?
C’est vrai que ce risque existe, et fréquemment on met sous la même appellation les collections personnelles de Jacques Glénat, celles qui appartiennent à la Fondation Glénat, celles qui appartiennent aux éditions Glénat et aussi à la Galerie Glénat, une galerie d’art contemporain qui commercialise les œuvres d’artistes. Toutes sont éponymes. Il y a donc un amalgame qui est fait. Ces entités sont pourtant très différentes et n’ont pas les mêmes buts ; elles sont gérées de manière parfaitement autonome et indépendante.
Il y a aussi votre collection personnelle de planches...
Ma collection de planches et dessins de BD se trouve chez moi, mais quand il n’y a pas d’exposition organisée par le Fonds, j’en accroche une partie ici pour ne pas laisser des murs vides. Pour la plupart, ce sont des choses qu’on m’a offertes. Et on ne vend pas ce que l’on vous donne, donc rien à voir avec la Galerie.
Vous êtes crédité comme un des éditeurs les plus riches de France….
Il vaut mieux faire envie que pitié ! Le classement de Livres Hebdo ne nous accorde que la 16e place dans les maisons d’édition en France.
On peut aussi supposer que la fortune de Jacques Glénat ne vient pas seulement de sa maison d’édition...
La maison d’édition qui marche bien et tout le monde ne peut que s’en réjouir y compris les auteurs qui sont publiés en toute sécurité. Les grandes maisons de bande dessinée sont des groupes ou des maisons familiales qui sont en bonne santé. Mais nous sommes tout petits par rapport aux cinq grands groupes d’édition francophones. J’ai toujours essayé de préserver notre indépendance et de vivre dans le monde des auteurs et des artistes, car je suis originaire d’une famille d’artistes.
Peut-être parce que votre maison est l’une des moins anciennes. L’exposition « InterDuck » inaugurée la semaine dernière, on pourra la voir jusqu’à quand ?
Jusqu’à fin juillet 2016.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
"L’Art du canard" au Couvent Sainte-Cécile, jusqu’au 30 juillet 2016.
Le site de l’exposition
L’Art du canard. Par interDuck. Glénat. En librairie depuis le 16 mars 2016. 512 pages. 45 euros.
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Photos ; D. Pasamonik (L’Agence BD)
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