Auteur d’un mémoire (école de commerce) sur la culture otaku et sur le marketing tribal, Iker Bilbao contacta les éditions Soleil en sortant de l’école, à plusieurs reprises, parce qu’il était « du coin, tout simplement », sans succès. Il tenta alors sa chance à Paris en intégrant la société de presse FJM où il reprit les magazines Otaku et Manga Spirit, avant d’y créer Shôjô Mag et Jap’Anime Mag. Repéré par Laurent Duvault, alors directeur chez Soleil, il y est engagé en qualité d’assistant. Il lui succède lorsque celui-ci quitte Soleil pour rejoindre le groupe Média-Participations et Médiatoon. Iker Bilbao a en charge la politique manga de l’éditeur toulonnais. Récemment, il a arrêté les labels Gotchawan (coréen) et Soleil Hero (chinois). Explications.
Le parcours manga chez Soleil est un peu chaotique. Il commence avec Alexandre Bodecot…
Oui, avec Vegetal Shoten. Il y a eu des petits litiges avec les Japonais et Alexandre Bodecot est parti assez vite. Puis Laurent Duvault et Pierre-Alain Szigeti ont rejoint la société Soleil et ont commencé ensemble un travail de restructuration et de reconstruction de catalogue.
Et puis là, coup de théâtre, Laurent Duvault quitte Soleil et part chez Média-Participations.
Oui. Il avait deux assistants : Joanna Ardaillon et moi. J’ai proposé à Mourad Boudjellal de nous laisser notre chance et de ne pas solliciter de candidature à l’extérieur.
Lise Benkemoun qui était directrice de collection de Soleil Hero s’en est également allée chez Panini Comics.
Oui, elle dirigeait cette collection qui a été arrêtée récemment. Jean Wacquet qui dirigeait la collection Gotchawan a aussi décidé de l’arrêter en raison d’autres projets qui sollicitaient sa présence. Pierre-Alain Szigeti qui avait pris un peu de distance en retournant avec sa famille à Tôkyô, participe à la reconstruction du catalogue depuis le départ de Laurent Duvault.
Les lecteurs de Gotchawan et de Hero sont furieux de cet arrêt de série en rase-campagne.
L’arrêt de série est un phénomène qui s’est déjà produit sur le marché français et qui se produit également sur le marché japonais. Les lecteurs japonais ne savent jamais, quand ils commencent une série, si elle va se terminer. C’est un phénomène tout-à-fait normal. Alors, on comprend et on est désolés pour les lecteurs de Gotchawan et de Hero qui ont eu à souffrir de ce phénomène, surtout sur des collections entières, que l’on a arrêtées à cause d’un niveau de vente relativement faible. Le fait de devoir gérer plusieurs collections difficiles et le désir de la direction de se recentrer davantage sur les mangas japonais nous ont contraints à cette décision-là. C’est un risque que connaissent tous les lecteurs à travers le monde à partir du moment où ils commencent une lecture.
Ce qui rend les observateurs dubitatifs, ce sont les propos de Mourad Boudjellal dans le dernier numéro de « Suprême Dimension » [1], à propos des mangas. Ils donnent l’impression d’un éditeur qui publie des mangas par obligation.
C’est un éditeur qui publie des mangas par choix stratégique. Il n’a jamais caché que sa passion, c’était la bande dessinée, la création éditoriale, un travail de fonds plus qu’un simple achat de droit et une traduction. Mourad Boudjellal a gardé la passion de l’édition et de la création. C’est davantage cela qu’exprimaient ses propos, plus qu’un quelconque rejet du manga. Maintenant, comme il nous l’a dit lorsqu’on l’a interrogé sur ces déclarations, il nous laisse une liberté totale. Il croit à Soleil Manga. Il nous donne les moyens et la possibilité de développer ce catalogue-là. Il s’y intéresse, mais ce n’est pas sa passion. Il y a chez nos concurrents, je crois, un rien d’hypocrisie quand ils annoncent leur amour immodéré pour le manga autrement qu’au travers les chiffres de vente. Chez nous, Mourad Boudjellal s’est entouré de gens qui aiment les mangas et qui s’en occupent. Il n’a pas à faire de démagogie quelle qu’elle soit. Il s’en est expliqué avec les éditeurs japonais.
Il les a vus à Japan Expo ?
Notamment. Bien évidemment, nos concurrents se sont empressés de faire traduire et de transmettre à nos homologues japonais les propos tenus dans ces récentes déclarations. Mais, encore une fois, les éditeurs japonais sont assez intelligents pour comprendre la teneur et l’intérêt de ces propos. Ils ont compris qu’ils ne s’adressent pas forcément à eux, mais à d’autres personnes, en particulier les auteurs. Joanna, Pierre-Alain et moi, nous voyons assez souvent les éditeurs japonais pour qu’ils aient confiance en nous. Tout se passe bien, nous avons toute leur confiance.
Quelles sont les lignes de force du redéploiement de Soleil dans le manga ?
Soleil va continuer ses lignes principales qui sont le shôjô manga et le seinen plus expérimental comme la série MI-8 Fukujin, mais aussi cette ligne initiée par Laurent Duvault qui consistait à développer des mangas tirés des jeux vidéo, une passion que je partageais avec lui, et qu’il va sans doute tenter de développer là où il se trouve, ce qui fait que nous nous affronterons sur certaines licences. A côté, on laissera développer le catalogue en fonction de nos sensibilités. Joanna Ardaillon a une sensibilité shôjô assez particulière que l’on va laisser se développer ; Pierre-Alain Szigeti est davantage attiré par le seinen, tandis que moi, je suis plus dans la catégorie shonen et young avec davantage de titres osés parce que cela me plaît davantage et que nos concurrents y sont également.
Propos recueillis à Japan Expo, le 8 juillet 2007
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] N°16 Juillet-août 2007, actuellement en kiosque. Nous vous en reparlerons prochainement.
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