Comment est né votre projet “Le Teckel” ?
J’ai rencontré un monsieur qui était visiteur médical dans les années 1970-80. Il est retraité aujourd’hui, mais il se plaignait du fait que le métier avait beaucoup changé. À son époque, c’était beaucoup plus rigolo car il avait le droit de faire des cadeaux aux médecins, leur payer des restos, des boites de cigares, des vacances, etc. Tout cela pour vendre plus de médicaments aux médecins. Mais entretemps, la profession a été réglementée, modernisée, rajeunie et féminisée.
Parallèlement à ça, d’autres envies que je n’arrivaient pas à développer se sont greffées au projet. Par exemple, je souhaitais parler du quotidien des représentants qui vont de ville en ville, de leur métier, des relations qu’ils nouent avec le temps. J’ai aussi été influencé par l’affaire du Mediator. Enfin, il y a mon goût pour le cinéma des années 1970, les films de Jean-Pierre Marielle et de Joël Séria, notamment pour le film Les Galettes de Pont-Aven. C’est pour cela que le personnage principal du Teckel a l’allure de Jean-Pierre Marielle. Quand j’écrivais les dialogues, je les lisais à haute voix en prenant l’intonation de Marielle pour vérifier si c’était crédible dans la bouche du Teckel (rires). Et quand cela n’allait pas, je réécrivais...
Il y aussi d’autres trucs centraux comme la scène dans laquelle le personnage se lance dans une diatribe sur la douleur. Cet album est la BD sur laquelle j’ai le plus bossé les dialogues. Il y a a,ussi un peu du Tandem de Patrice Leconte.
Il y a un travail particulier apporté au niveau des couleurs.
Oui, car le personnage du Teckel est truculent. Visuellement, il y a sa cravate, sa Citroën CX. Ajouter des couleurs aurait fait de trop. Je voulais au contraire faire une bichromie en bleu afin de donner au récit un côté froid et préparer aussi le lecteur au changement de ton qui arrive plus loin dans le livre. Il y a aussi une autre bichromie réservée aux flashbacks.
Pourquoi avoir donné des surnoms de chiens aux personnages ?
Je ne sais pas pourquoi en fait (rire). Tous les matins, lorsque je vais déposer mes enfants à l’école, je m’arrête pour boire un café dans un bar et le patron de cet établissement possède un teckel complètement hystérique, complètement taré mais super-drôle ! Il me fait rire depuis des années et peut-être qu’inconsciemment, j’ai pensé à ça lorsque j’écrivais cette BD. Et puis, j’ai remarqué qu’il y a eu des modes pour les chiens, le caniche dans les années 1950, le teckel pour les années 1970, le berger allemand pour les années 1970-80, etc. J’ai failli partir dans le délire de créer une cartographie de toutes les boîtes de VRP qui seraient baptisées d’un nom de chien selon le pays. Par exemple, le husky en Norvège ou le chihuahua au Mexique mais finalement, j’ai laissé tomber.
Votre autre actualité c’est une BD consacrée à Jacques Prévert chez Aire Libre/Dupuis. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ce titre “Prévert, inventeur” ?
Prévert, inventeur est une référence à son poème “Inventaire”, d’où vient l’expression “inventaire à la Prévert”. Et c’est aussi en référence à l’incroyable inventivité verbale dont il faisait preuve à l’époque. S’il n’écrivait pas encore, il faisait déjà de la poésie. Inventeur aussi parce qu’il créa le “Cadavre exquis”, avec les Surréalistes.
Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur la vie de Jacques Prévert ?
De la rencontre avec Eugénie Bachelot-Prévert, sa petite-fille, il y a 20 ans pile, de la connexion avec Boris Vian (ils étaient voisins), et de l’envie de raconter un Jacques Prévert méconnu, le jeune dandy des années 1920, drôle et parfois dangereux.
Qu’est-ce qui vous attire tant chez cet artiste ?
Né en 1900, mort en 1977, c’est un des hommes du XXe siècle. Il a connu les derniers ressacs de la Première Guerre mondiale à Istanbul, les Années Folles à Montparnasse, les surréalistes, Moscou en 1930, les USA à la fin des années 1930, la Seconde Guerre mondiale. Il a été un des parrains de Saint-Germain-des-Prés et le poète le plus traduit au monde ! Il a écrit et dialogué des films mythiques avec Marcel Carné tels que Drôle de drame, Le Quai des brumes... Les répliques célèbres “Bizarre comme c’est bizarre” ou encore “T’as d’beaux yeux, tu sais !”, tout ça c’est lui. Sans parler de sa liberté de ton, son refus de toute autorité, son refus des carcans politiques et religieux, sa modernité incroyable !
Après Boris Vian dans “Piscine Molitor” et “Prévert, inventeur”, comptez-vous vous lancer dans une série d’albums consacrés à des personnalités artistiques du début du 20 siècle ?
Non. On s’arrête aux deux voisins de la Cité Véron [1].
La mise en page et la conception graphique de cet ouvrage sont particulières. Pourriez-vous m’expliquer vos intentions ?
Il s’agit d’un choix de Christian Cailleaux qui n’a pas voulu enfermer dans des cases un personnage aussi libre et fantasque. Il s’agissait aussi de représenter graphiquement la logorrhée verbale de Prévert, mais aussi certains documents. Donc il a construit ses pages de façon éclatée, mais cela reste lisible et élégant.
L’album se conclut lorsque Prévert fait ses premiers pas dans le cinéma. En combien de tomes avez-vous prévu de raconter la vie de cet artiste ?
Trois tomes. Un par décennie. Donc après les années 1920 et les Surréalistes, le tome 2 parlera du mouvement Octobre, et le tome 3 du cinéma. On s’arrête quand Prévert devient célèbre en 1946.
De manière générale, pourriez-vous nous expliquer votre méthode de travail ?
Il n’y a pas vraiment de règles. J’écris des histoires. Parfois, comme pour Prévert, je sais en amont qui la dessinera, parfois, en cours d’écriture, je me rends compte que je pourrais dessiner, ou si ce n’est pas le cas, je fais appel à un collègue. Qui peut, ou pas... Alors j’attends ou je cherche un autre copain. Parfois personne ne peut et je laisse tomber le projet. Parfois, ça ressurgit dix ans après. Parfois jamais. Parfois, tout se fait en quelques mois, ça dépend...
Quels sont les lectures ou auteurs qui vous ont donné envie de faire de la BD ?
Oh là là, beaucoup de noms, ça serait ennuyeux. En ce moment, c’est Alain Finkielkraut qui me donne le plus envie de faire de la bande dessinée.
Quels sont vos autres projets ?
J’ai encore un livre qui paraîtra au mois de novembre. Il s’agit du Petit livre de la bande dessinée, coréalisé avec Terreur Graphique et qui sera édité chez Dargaud.
Voir en ligne : Le site d’Hervé Bourhis
(par Christian MISSIA DIO)
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En médaillon : Hervé Bourhis à Bruxelles, durant la Fête de la BD. Photo : Christian Missia Dio
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[1] impasse du quartier de Pigalle à Paris. NDLR
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