Comment vous est venue l’idée d’affubler Kurdy d’un casque militaire américain surmonté d’une plume ? Visuellement, ça a eu un impact très fort.
J’avais l’intention de camper un personnage rusé, malin et délicieusement voyou. L’idée du casque m’est venue d’un personnage secondaire d’Auclair l’auteur de « Simon du Fleuve » disparu accidentellement. Dans mon esprit, ce gamin avait un casque militaire sur la caboche, mais ce n’est en effet pas le cas si on regarde Les Naufragés d’Arroyoka . Comme c’est étrange…
J’y ai ajouté aussi une plume pour le côté indien, américain, mais c’est en même temps ironique. Ceci, au même titre que la plaque qu’il porte autours du cou avec la mention « mother » alors qu’on ne lui connaît pas de maman.
Est-ce le personnage de Kurdy qui a amené le succès de la série ?
Au début, je n’y pensais pas, mais oui. Petit à petit il s’est imposé avec le temps… à l’image de Haddock dans Tintin. Si vous supprimez le capitaine Haddock, il manque quelque chose dans Tintin. C’est comme si, à table, vous retiriez la salière...
Et concernant le côté « bad boy » de Kurdy…
Ça je le voulais, mais « bad boy » sympathique. Au niveau littérature, cinéma ou BD, c’est le genre de personnage qui va attirer beaucoup de sympathie. Mais je ne sais pas si dans la vie courante je le supporterais ! ( Rires ) Voyez-vous, Kurdy est une forme d’exutoire à un certain type de violence qui est en moi.
Vous avez refait quelques couvertures de la série mais Kurdy était souvent seul sur les premières versions.
Ce n’était pas calculé, c’est arrivé spontanément. Ça s’appelle « Jérémiah » mais c’est un duo. Donc je ne vois pas pourquoi il y aurait prédominance du personnage principal. Le personnage secondaire que j’avais imaginé dans la foulée était devenu pour moi aussi important que le personnage principal. Il me fallait donc l’amener de temps en temps à l’avant-scène. Mais il n’y avait rien de vicieusement calculé quant à son utilisation en couverture. Vous savez, il y a un côté très naïf chez moi…
Vous vous souvenez de la naissance de « La Nuit des rapaces », le tout premier album de la série ?
Oui. C’est une époque où j’avais envie de voler de mes propres ailes, j’étais en train de quitter Greg [le scénariste de Bernard Prince et de Comanche. NDLR.]. C’est le livre « Ravages » de Barjavel qui m’a mis le pied à l’étrier. La situation de la terre après une catastrophe thermonucléaire a été le point de départ de la série.
Sur les dix premiers tomes il y avait une atmosphère très western et même de véritables scènes de duels. Pourquoi avoir abandonné ces éléments petit à petit ?
Oui, fatalement, quand j’ai démarré cette nouvelle série, je venais de Comanche ! Mais je voulais me débarrasser de la bande dessinée « adolescente ». Une certaine approche, un certain concept se sont alors imposés qui, petit à petit, ont amené plus de maturité. Il y a toujours un côté "road movie" et un petit côté western, mais ce sont des reliquats, ce ne sont pas des aspects sur lesquels je me braque. Et comme je me dirigeais vers un monde plus rapide, plus motorisé, je me suis laissé convaincre d’abandonner les engins à quatre pattes pour des engins à deux roues, plus à même de rivaliser avec des malfrats motorisés.
Au moment où j’ai signé un contrat avec un producteur à Los Angeles pour l’adaptation en série télévisée de ma série « Jérémiah ». D’accord, les chevaux n’étaient pas indiqués dans le monde vers lequel la série se dirigeait. Mais à part ça, le compagnon de Jérémiah devait être un Noir pour satisfaire toutes les couches sociales ; pas question que ce « Kurdy » porte un casque, ce ne serait pas pratique pour des déplacements en moto ; pas question non plus de catastrophe thermonucléaire : ce serait sous-entendre une responsabilité américaine ; et enfin, cerise sur le gâteau, mon humour décapant ne convenait pas non plus : il fallait des dialogues plus neutres. Bref un objet politiquement correct et qui, au final, n’a pas très bien marché. C’est donc un objet dont je renie totalement la paternité et pour lequel je continue encore à me demander pourquoi un producteur m’a acheté les droits d’adaptation.
Plutôt que les motos, vous n’étiez pas plus à l’aise sur les ambiances western comme celle du second album par exemple ?
( Rires ) Oui… Du Sable plein les dents était une influence de Sergio Leone mais je ne peux pas vivre sur ça. Je ne pouvais pas faire sur Sergio Leone sur plus d’un ou deux albums. C’est malheureusement vite épuisé.
De quels albums de Jérémiah les lecteurs vous parlent le plus ?
C’est rarement les tout premiers. Les lecteurs me parlent surtout de la série d’une manière générale. Mais il y a certains albums dont ils me parlent plus. Par exemple, Un Hiver de clown, peut-être parce qu’il est différent. Simon est de retour a provoqué quelques minimes réactions plutôt réticentes… à cause du geste violent de Kurdy qui abat un avocat. Mais peu de choses, sommes toutes. Parmi les premiers albums, je suis assez satisfait de Delta, mais les lecteurs ne m’en parlent pas plus que d’autres. Sinon, moi, mon album préféré c’est Trois motos, ou quatre… Je me suis vraiment bien amusé à le faire.
D’une manière générale, les albums où je m’amuse le plus sont ceux où, en plus du récit, il y a de l’ironie et des dialogues corrosifs : je n’ai pas eu Greg comme mentor pour rien ! J’aime créer des situations un peu absurdes. Et justement dans Trois motos ou quatre…, il y a non seulement ce malheureux Stonebridge (l’éternel perdant que je ridiculise), mais également une succession de séquences qui me plaisent toujours quand je les relis.
Enfin, quand je dis que je les relis, c’est un grand mot. Il m’arrive de feuilleter l’un ou l’autre album qui se trouve devant moi pour une raison quelconque. Mais je ne les prends jamais dans le but de les lire. Je vais vous confesser quelque chose : il m’arrive d’ouvrir un album dont j’ai totalement oublié le contenu parce que j’y cherche un élément qui doit me servir. Et bizarrement, quand je commence à lire, j’ai envie de continuer. Et je deviens ainsi un lecteur de mes propres récits ! J’aime bien mes histoires ! C’est dit sans aucune prétention mais je pense que je n’ai pas à en rougir…
Si ça fonctionne bien avec vous, ça veut dire que ça fonctionne bien aussi avec les lecteurs ! C’est un signe de réussite.
Ce n’est pas de l’autosatisfaction mais, oui, j’éprouve du plaisir à lire mes pages. Car, comment pourrais-je les dessiner s’il n’y avait pas de plaisir ? Je tombe souvent sur des bandes dessinées de jeunes dessinateurs. Ils font de très beaux dessins, très riches, tellement riches qu’ils freinent la lecture. C’est comme si vous vous asseyiez à une table, avec une multitude de plats dans tous les sens, qui font que, d’un coup, vous n’avez presque plus envie de manger. Ces dessinateurs veulent montrer leur savoir-faire, mais il faut aussi savoir raconter. Et pour ça, le découpage est aussi très important. Parfois il y a des cases trop grandes pour dire peu de choses et des petites très encombrées. Je suis parfois épaté par le travail de dessinateurs mais ils ne racontent pas bien.
À vous écouter, on pense justement à la première scène d’Afromerica et à cette chasse à l’homme sans le moindre texte…
Vous savez que dans « Afromerica », la personne qui se fait poursuivre, c’est moi ! Un jour quelqu’un m’a dit : est-ce que tu n’es pas tenté de t’insérer dans tes récits ? Je l’ai pris au mot mais je me suis débrouillé pour me faire bouffer dès les premières pages. ( Rires )
Vous réalisez également des couvertures qui attirent l’œil !
Il y a celle de « Delta » qui est justement un peu surréaliste avec Kurdy, sous son parapluie et les pieds dans l’eau. Cette couverture rappelle un peu la peinture de Magritte. Jean Van Hamme m’a dit un jour une chose que j’ai retenue : une couverture ne doit pas fatalement être une belle couverture, elle doit aussi être énigmatique. Elle doit donner l’envie à celui qui tombe dessus, d’ouvrir le bouquin pour savoir ce qu’il y a dedans. Et c’est en effet, quelque chose que j’ai remarqué : pas mal de dessinateurs font de très belles couvertures… mais elles se perdent dans le paquet d’albums parce qu’elles sont trop compliquées. Une couverture doit être lisible, elle doit attirer. Trop d’éléments ont finalement un effet négatif.
Il y a eu une réelle évolution des deux personnages ainsi que dans leur relation.
C’est-à-dire que Kurdy reste au niveau de l’amuseur qui, de temps en temps, est sollicité dans le récit pour montrer qu’il joue quand même un rôle (rôle qui consiste souvent à sortir son arme). Dans le prochain album, Jungle City, qui paraîtra en automne, Jérémiah sort de sa retenue. Il révèle un peu plus ce qu’on pouvait déjà percevoir, c’est-à-dire cette caractéristique un peu particulière que je lui avais attribuée, à savoir un poing d’une force de frappe qui peut tuer… et il s’en sert ! Ce n’est pas Rambo, je ne fais pas dans ce contexte, mais quand il se trouve en situation difficile, il n’est pas du genre à vous mettre simplement une baffe ou à vous assommer. Devant certains individus, il cogne un peu fort et il tue. Mais fondamentalement, il ne cherche pas la bagarre.
Petit à petit Jérémiah a pris le dessus sur Kurdy. Ce dernier est parfois rabaissé exagérément non ?
Ha, tiens, c’est marrant ! Ce n’est pas comme ça que je le vois. Il arrive parfois que le récit soit davantage mené par Jérémiah, mais Kurdy est là. Il reste toujours présent en cas de nécessité, pour intervenir dès que le récit l’exige.
Vous n’exploitez plus le côté débrouillard ou roublard de Kurdy comme au début.
C’est bien que vous me fassiez remarquer ça ! Il faudra que je pense à le réintroduire d’une manière plus présente dans les récits qui suivront. Mais ce ne sera pas dans l’histoire de Jungle City : Kurdy y est présent, bien entendu, mais il essaye surtout de séduire. Je joue parfois sur ça d’ailleurs car c’est un personnage qui a beaucoup de mal pour séduire les jeunes femmes. Tandis que Jérémiah, même s’il n’est pas un grand consommateur, il a beaucoup de charme et les femmes y sont sensibles. Kurdy, lui, qui est obsédé par les femmes, ne réussit pas trop à les séduire et il est frustré.
En effet, comparé à Jérémiah, vous ne gâtez pas trop Kurdy en ce qui concerne les histoires d’amour. On repense à Pryscillia, Snow et Elsie.
Oui… Dans « La Ligne rouge », c’est la première fois que Kurdy est amoureux et il ne sait pas très bien ce qu’il doit faire de ce sentiment. Il a des désirs sexuels, c’est normal, mais il est maladroit. L’amour, c’est un peu comme une patate chaude pour lui. Mais, d’une manière générale, je ne veux pas faire de Kurdy quelqu’un qui aurait une femme dans chaque récit. Il cherche et fréquente des femmes dites légères, parce qu’elles sont plus faciles à aborder. Par contre, figurez-vous, que parmi mes lectrices, beaucoup sont amoureuses de Kurdy ! ( Rires ) Alors je dois dire que là… c’est assez surprenant ! C’est peut-être parce qu’il a un côté canaille.
Sinon, pour revenir à votre question, j’ai horreur dans mes récits d’aller vers la réussite en amour. C’est bon dans la vraie vie, mais ce n’est pas bon dans une histoire qu’on raconte. Et si Jérémiah a régulièrement des aventures, elles sont aussi sans lendemain. Il n’a été amoureux qu’une seule fois. Et même s’il retrouve Lena de temps en temps, il ne peut pas recommencer une nouvelle histoire. C’est donc aussi une forme d’échec.
Cela fait deux fois que Stonebridge nous fait le coup de mourir à la fin de l’histoire. Est-ce pour de bon cette fois-ci ?
Non il n’est pas mort ! Il n’est certainement que blessé. Mais peut-être que je n’utiliserai jamais plus Stonebridge. Et puis si demain j’ai envie de l’utiliser quand même… Eh bien, on pourra dire que, de nouveau, il s’en est tiré !
Vous ne nous avez pas livré d’éléments sur l’origine de la haine qui lie Kurdy à Stonebridge...
Oui, mais est-ce nécessaire ? De même que je n’ai jamais traité l’enfance de Kurdy. J’imagine qu’il a pu subir quelques violences, peut-être sexuelles. Et puis c’est un gosse qui n’a pas eu de père et qui a été abandonné par sa mère. C’est comme ça que je le vois. Sa mère serait comme certaines femmes qui en ont marre de leur gosse et qui finissent par le laisser à côté de la poubelle. Si on le ramasse, tant mieux… et si on ne le ramasse pas, tant pis ! Mais Kurdy n’a pas été réellement maltraité ; il a quand même eu des copains, il a survécu. C’est seulement un petit voyou à cause de tout son passé.
À aucun moment vous vous dites : « Tiens, je vais raconter la jeunesse sur un seul tome » ?
Souvent on fait ça quand on commence à être un peu à court au niveau des récits et qu’on veut perpétuer une série. Ce n’est pas exclu mais, pour l’instant, non, je n’ai pas envie de faire ça !
Alors comment trouvez-vous la motivation pour écrire à chaque fois un nouveau récit. C’est dur, passé un certain nombre d’albums, non ?
Vous avez utilisé le mot juste, c’est dur ! C’est dur et, à chaque fois, je me dis que je ne trouverai jamais plus rien. Mais ça tient de l’obstination. Parfois, j’aurais presque envie d’interrompre Jérémiah pendant au moins deux ans, mais il y a toujours des gens qui me demandent « quand est-ce le prochain » ? Alors, du coup, je me dis « allez, le prochain, je vais essayer de le faire mieux que les autres ». Voilà, c’est un peu comme ça que je me pousse dans le dos. Mais je suis plein d’appréhensions et je ne suis jamais totalement sûr de pouvoir en faire à chaque fois un autre. Pourtant, quand arrive le moment de m’y replonger, je me rends compte que j’ai toujours envie d’y retourner. Mais vous voyez, ce n’est pas toujours aussi simple que ça !
Vous n’avez osé qu’un seul album sans Kurdy. Cela a été un drame pour les lecteurs ?
Non pas du tout, je n’ai eu aucun reproche. Je dirais même que Un Hiver de clown est un des albums qui a le plus ému. Bien sûr, on se doutait que Kurdy allait revenir mais cet album a quelque chose de glacial. C’est un univers un peu fou, isolé, loin de tout... avec tous ces gens complètement bizarres, à bord d’un bateau, qui rigolent mais qui peuvent devenir des assassins d’une minute à l’autre. Les lecteurs n’ont pas eu le temps de se plaindre de l’absence de Kurdy car j’ai très vite enchaîné avec l’histoire suivante. Alors on va dire que cet album était un peu comme un entracte.
Mais à vous écouter je me rends compte je ferai peut-être bien de réintroduire Kurdy comme un personnage beaucoup plus important. Je me rends compte à quel point discuter avec des gens qui sont quand même mes lecteurs (et pas que des journalistes), ça me met le feu au talon. Ça m’amène à me demander si parfois je ne suis pas trop à ronronner dans un sens ou dans l’autre. Même mon fils me dit parfois « Tu ferais bien de réveiller tel ou tel truc… » ou « Attention, là tu as pris des habitudes au niveau du dessin… ». Sommes toutes, c’est bon d’écouter pour ne pas rester seul sur son île.
Dans un album comme Esra va très bien, on assiste à un entêtement absurde de deux pseudo-policiers. Votre objectif est de montrer le niveau de la bêtise humaine ?
Oui. Faute d’avoir quelque chose d’intéressant à mâcher, ces deux flics se braquent sur une chose sans importance. Mais ils s’obstinent car ils s’emmerdent et qu’ils sont cons. En effet, je joue très facilement avec l’absurdité et la bêtise humaine. Il y a toujours quelque chose de désabusé dans mes récits. Je n’ai pas beaucoup d’estime pour l’espèce humaine. Et je suis ravi d’être dégradable. Dans x années j’aurai disparu et on m’aura complètement oublié. (Rires)
À notre avis, c’est mal barré, là !...
Oui, je sais, mais je n’y suis pour rien ! J’aime ma femme, je travaille avec mon fils, je suis en bonne santé, tout va bien… pour moi ! Mais le spectacle du monde autour de moi est tel que je ne peux pas m’arrêter sur ce qui fonctionne : le reste est tellement désespérant qu’il joue un rôle dans ma façon de voir les choses et de les interpréter.
Mis à part vos lecteurs, j’ai l’impression que vous aurez plus de reconnaissance la part de ceux dont c’est le métier une fois que vous nous aurez quittés ?
(Rires) Dans le métier, il y a des gens qui m’apprécient ! Et restons entre vivants, car après, quelle importance ? Dans le métier en tout cas, il y a quelqu’un qui compte beaucoup pour moi, c’est François Boucq. François, c’est l’Everest du métier. C’est le meilleur dessinateur qui soit ! Il a l’art du découpage, et en plus, il a de l’humour. Apparemment, en retour, il m’apprécie aussi. Donc, cet échange me suffit amplement. Pour le reste, il m’arrive parfois, lors de festivals, d’être seul à une table, à boire un verre, et de voir de jeunes dessinateurs venir s’asseoir en face de moi et me dire « Je n’ai jamais osé vous en parler jusqu’à présent, mais vous avez joué un rôle déterminant dans ma compréhension du métier ». Évidemment, ce n’est pas le cas de tous les dessinateurs, comme ceux qui ont opté pour une autre direction , comme le roman graphique. Sinon, il est vrai que je fais partie des derniers dinosaures dont on attend la mort. L’ennui, c’est qu’il n’est pas sûr que je n’enterre de plus jeunes avant ! (Rires)
Vous êtes en effet souvent cité en référence par d’autres dessinateurs, ça vous place au Panthéon de la BD...
Oui, bon, le Panthéon, d’abord il faut être mort pour y entrer ! Et je ne suis pas un artiste. Mais quand des dessinateurs me parlent de ma manière de construire un récit, de mon découpage, de tout ce qui fait la narration, et que je leur ai servi d’exemple, cela me rassure sur ma propre capacité à raconter. Ça, c’est important. Savoir dessiner est une chose, mais le jeu de la caméra est tout aussi déterminant. Je dis volontiers que je fais du cinéma dessiné. Je n’ai pas envie d’aller vers un dessin « intellectualisant ». Je veux juste arriver à exprimer des sentiments et raconter une histoire.
Finalement il n’y a pas grand monde qui arrive à faire du « Hermann » !
Ma méthode de travail, ce n’est pas une recette. Si le dessinateur ne ressent pas le phénomène cinématographique, le jeu de caméra, ce n’est pas en le voyant chez moi qu’il arrivera à le reproduire. Ça se ressent ou ne se ressent pas. Disons que j’ai ce don, comme d’autres peuvent avoir un don au niveau graphique, comme Jean-Claude Mézières, doué pour le fantastique et qui a créé des vaisseaux spatiaux absolument prodigieux, que je serais absolument incapable d’inventer. Personne ne peut lui ravir cette capacité, même un géant comme Jean Giraud ne serait parvenu à une telle inventivité.
Vous parlez de Mézières : vous avez aussi osé l’hypothèse extra-terrestre avec « Zone frontière » !
C’est toujours délicat d’aborder le surnaturel, ou les extraterrestres, c’est pourquoi je reste dans le flou. Ils viendraient d’où ? De quelle planète ? On est dans l’hypothétique, l’imagination. J’aime le fantastique, mais celui de la sensation, sans représentation. Donc, je ne reprendrai pas ce thème, c’est un univers qui ne m’émeut pas. Cet album, c’était aussi une espèce d’entracte.
Vous haïssez les banquiers à ce point pour qu’on retrouve si souvent l’aileron de requin en guise d’enseigne ?
Eh bien, oui ! Le banquier c’est quand même l’image de la finance, c’est quand même un univers d’un cynisme incroyable. Je ne suis ni communiste, ni capitaliste. Je suis pour une société de consommation modérée ; je déteste le gaspillage.
Vous changez souvent de style dans votre dessin avec Jérémiah, c’est une remise en question à chaque fois ?
Ben voilà, vous venez de le dire. C’est une remise en question, mais elle n’est pas dramatique. Mon seul ennemi dans le métier, c’est moi-même. Je suis obsédé par le désir d’être « meilleur qu’hier, mais moins bon que demain ». Il n’y a pas d’autre explication. Je trouve très rarement que mon dessin est abouti. Parfois, il y a des bouts de cases que je termine où je me dis « là, j’ai bien tenu mon pinceau en main ; j’ai exprimé le trait tel que je souhaiterais le faire en toute circonstance ». Mon enthousiasme dure un moment, et puis, paf, le dessin continue à être propre, mais il ne produit plus le même enthousiasme. C’est un peu comme un sportif qui a son jour de grâce et qui espère que le lendemain, il sera aussi bon. Et le lendemain, il arrive que la grâce soit passée, et il s’en bouffe les ongles. C’est pareil pour moi.
Propos recueillis par Jean-Sébastien Chabannes
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Voir en ligne : Hermann - Site officiel
(par Jean-Sébastien CHABANNES)
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« Nous pourrions continuer Bernard Prince … ou Comanche » ainsi que notre article Hermann revient à Bernard Prince
« "Retour au Congo" pastiche Tintin, mais sans le plagier ! »
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Les chroniques du Diables des sept mers et des albums de Jérémiah tomes 27 et 30.
La remise du Prix Diagonale 2009.
Une autre interview de fin 2014 : « Si une case ne m’excite pas ou ne me procure pas de sensation, je la gomme. »
Deux interviews réalisées par Nicolas Anspach : " je ne me prends pas pour un artiste !" (nov 2007) et "Dans Caatinga, des paysans forment un mélange de ’Robin des Bois’ et de criminels impitoyables…" (janv 1997)
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