Florence Cestac et Jean Teulé nous parlent de leur livre « Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps » et bien entendu de leur ami Charlie Schlingo.
Pourquoi avez-vous souhaité réaliser une biographie dessinée consacrée à Charlie Schlingo
FC : Charlie Schlingo a fait partie de la grande famille de Futuropolis. Étienne Robial et moi-même avons publié plusieurs de ses livres. J’ai retracé la création de cette maison d’édition et les années où Étienne et moi-même étions éditeurs dans La Véritable Histoire de Futuropolis. Dans ce livre, j’avais mentionné qu’il fallait faire une bande dessinée sur la vie de Schlingo. Jean Teulé me connaît depuis longtemps : il a préfacé plusieurs de mes livres et m’a aidé à écrire Le Démon de Midi. Nous avions envie d’aborder la vie de notre ami ensemble.
Charlie faisait partie de la famille de la bande dessinée. Tout comme moi, il aimait le gros nez, et a été nourrit aux petits formats : Pépito, Blek le Roc, etc. Nous avions les mêmes passions, et étions fort proches.
Son parcours intéressera-t-il les lecteurs ?
FC : Franchement, je m’en fous ! Nous avions envie de raconter son histoire, et surtout que l’on se remémore un peu le travail et la personnalité de ce garçon. Nous voulions émouvoir le lecteur en parlant de Charlie.
Comment avez-vous travaillé ?
JT : Je suis allé à la rencontre des proches de Charlie, ses amis auteurs de BD et ses copains de bagarre. J’ai mené une véritable enquête pour mieux le connaître. Florence et moi-même avons été présenter le projet aux parents de Charlie. Ils ont été émus et nous ont donné leur aval. Ensuite, j’ai envoyé le scénario découpé, par mail, à Florence. Elle me renvoyait les pages dessinées. C’était un vrai bonheur !
Jean Teulé, cela fait plus de vingt ans que vous n’aviez pas signé de bande dessinée. Vous êtes aujourd’hui un écrivain reconnu. Pourquoi revenir à ce genre ? [1]
JT : Depuis des années nous parlions, Florence et moi-même, de réaliser ensemble une bande dessinée. Je ne trouvais pas d’idée convaincante et intéressante pour m’y remettre ! Je voulais revenir à la bande dessinée avec un scénario costaud ! Quand j’ai lu le livre de Florence sur Futuropolis, j’ai eu l’idée d’une biographie dessinée sur Charlie Schlingo. Il me semblait naturel que Florence dessine la vie de Charlie. D’autant plus que ce dernier se sentait très complice du travail de Florence.
FC : Jean a le don pour parler de personnages assez forts, comme Verlaine et Villon. Charlie est dans la même lignée. C’est le François Villon des temps modernes.
Aimeriez-vous que l’on publie un jour une biographie dessinée sur vous ?
FC : Évidement ! Cela me ferait chaud au cœur. Beaucoup d’amis, auteurs de bandes dessinées, viennent me dire qu’ils aimeraient bien que quelqu’un raconte leur vie….
Quelle est la part de fiction dans cette histoire ? J’imagine, par exemple, qu’il ne marchait pas sur les mains …
FC : Mais tout est vrai ! Nous n’avons rien inventé. Jean a mené l’enquête…
JT : Tous les faits sont réels. Nous n’avons inventé qu’une chose : Charlie Schlingo vivait tellement dans un monde de bande dessinée qu’il ne pouvait n’aimer que des filles ressemblant à Josette de rechange, son héroïne. Nous avons rassemblé les trois femmes de sa vie en une seule. Nous avons fait vivre à Charlie une histoire d’amour avec le personnage de Josette de rechange. Il la dessinait avec de gros avant-bras, sur lesquels était tatoué une ancre marine. Finalement, cette représentation n’est pas de la fiction compte tenu de la ressemblence entre les femmes qu’il a aimées et son héroïne.
Charlie confondait la réalité et la BD. Je lui disais souvent qu’il ne vivait pas avec nous ! On avait l’impression qu’il s’était échappé d’une case. Charlie vivait dans une BD. Il lui arrivait beaucoup d’aventures rigolotes, dignes d’une bande dessinée. Charlie a vécu une vie de Popeye.
Enfant, quand il souffrait parce que l’on venait de l’opérer pour palier à sa polio, sa grand-mère lui apportait des Pépito. Il n’y avait que les petits formats qui pouvaient le calmer. Du coup, la réalité était, pour lui, synonyme de souffrance. La vie, selon lui, ne pouvait exister que par la bande dessinée. Charlie ne comprenait pas que certaines personnes n’aimaient pas les BD.
Même sa mort est une fin de bande dessinée. Il est mort en butant sur son chien, qui s’appelait « La Méchanceté ». Il a perdu l’équilibre et s’est fracassé la nuque sur une table. Il est mort sur une chute, digne d’une BD.
Il semblait être ingérable. Quels étaient ses bons côtés qui en faisaient un ami indispensable ?
JT : Il était extraordinairement drôle ! Charlie était un homme attachant, et je crois qu’il n’avait pas beaucoup d’ennemis dans le métier. Charlie faisait n’importe quoi. Il vomissait sur tout le monde. Mais il était tellement mignon qu’on lui pardonnait ses frasques. Son comportement découlait d’une souffrance. Ses BD sont délibérément crétines et poétiques. Il a construit un vrai univers. C’est un grand artiste qui a loupé son public. Enfin, on espère que les lecteurs de BD vont redécouvrir Charlie Schlingo. L’Association va republier ses albums ! Il y aura aussi, chaque année un prix Schlingo à Angoulême. On va récompenser la BD la plus tarée [2].
Quel est votre meilleur souvenir de lui ?
FC : Il y en a beaucoup ! Charlie se bagarrait souvent avec les autres hommes. Il pouvait être assez violent. Mais c’était un amour avec les filles. Je me souviens de ses fou-rires. C’est le seul dessinateur que je connaisse qui riait en dessinant. En encrant ses dessins, il disait souvent en se marrant : « Putain, c’est pas possible d’être aussi con ! ».
(par Nicolas Anspach)
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Photos (c) Nicolas Anspach
Illustrations (c) Cestac, Teulé & Dargaud.
[1] Jean Teulé a publié plusieurs bandes dessinées dans les années ’80, dont Gens de France, Gens d’Ailleurs et Bloody Mary. Ce dernier titre fut le premier album à recevoir le prix de la critique (ACBD) en 1984.
[2] Lindingre a reçu le prix Schlingo en 2009 pour le troisième tome de Chez Francisque.
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