Pourquoi avez- vous souhaité reprendre le personnage du Lémurien que vous avez créé pour votre blog ?
L’autobiographie a ses limites, et je voulais faire de l’autofiction. Si dans ma vie, il ne se passe rien d’intéressant, je n’aurais rien à raconter en bande dessinée. Je voulais cependant me servir de ma vie et de mes souvenirs de jeunesse pour une fiction. Fréféric Niffle, le rédacteur en chef du journal de Spirou, avait lu le Journal intime d’un lémurien et m’a proposé de faire une série dans son magazine. Je lui ai alors proposé" de reprendre le personnagedans une auto-fiction. Il adorait cette idée, car ce personnage était charismatique et intéressant !
Pourquoi avez-vous continué à dessiner dans ce style plus spontané et nerveux ? Étiez-vous fatigué de l’expérience « Spirou et Fantasio » dont les planches vous demandait plus de rigueur ?
J’ai récolté deux types de réaction pour cet album. Certains adorent ce Spirou, et le trouvent très « classique ». D’autres le méprise totalement et disent que mon style est du sous Conrad et du sous-Franquin ! Même l’un des directeurs de Dupuis m’a confié que je devais trouver mon style ! Ces derniers avaient raison ! A travers ce style « animalier », plus jeté et dynamique, j’ai trouvé une voie pour donner plus de personnalité à mon dessin.
Vous m’avez confié que Maki était de l’autofiction …
Oui. Je ne me sers de séquences réelles pour crédibiliser le récit. Ensuite, je peux inventer. L’objectif est que le lecteur ne sache pas faire la différence entre le vrai du faux ! La crédibilité des rapports psychologique entre les personnages m’intéresse de plus en plus. Christophe Blain, Riad Sattouf ou encore Matthieu Bonhomme dans Estéban vont dans ce sens. Ils arrivent à créer des personnages et des situations qui semblent être vécues.
J’étais « condamné » à faire de l’autofiction car je ne voulais pas raconter des choses un peu banales comme le fait si bien Lewis Trondheim dans Les Petits Riens. Beaucoup d’autres auteurs le font sur le Web. Je ne voulais pas le faire, car j’ai été élevé à l’aventure.
Vous êtes aussi plus axé sur l’humour avec ce premier tome de Maki !
Oui, j’ai puisé d’avantage dans mes souvenirs d’animateur de colonie de vacances que dans ceux de mon adolescence. Mais de toute manière, comme c’était de l’auto-fiction, je n’avais plus l’obligation d’être juste avec ces souvenirs lointains. Par contre, dans les livres que je signe chez Delcourt, avec le Lémurien, je m’interdis d’inventer ! Je peux raccourcir ou synthétiser un événement, mais je ne le déforme pas ! Tout ce que je raconte dans ces livres sera forcément vrai ! Par contre, pour Maki, j’ai la liberté de rajouter des scènes qui ne se sont pas déroulées.
J’ai partagé un temps l’atelier d’Emmanuel Guibert à la Place des Vosges à Paris. Je lui avais donné à lire une histoire policière que j’avais rédigée. Je voulais à l’époque me lancer dans le scénario. Il m’a conseillé d’écrire plutôt ce que je connaissais. On est jamais plus fort que lorsque l’on raconte quelque chose que l’on maîtrise. Par exemple, Riad Sattouf a fréquenté des racailles lorsqu’il était adolescent. Il raconte extrêmement bien ce monde-là. Si je devais me coller à cette thématique, je risquerais de tomber dans les stéréotypes parce que je ne connais pas cet univers. Je vais donc essayer de raconter ce que je connais, c’est-à-dire des souvenirs de jeunesse et des histoires de famille.
Le choix des animaux pour camper tel ou tel personnage est-il venu naturellement ?
Je me suis documenté. Par exemple pour l’une des racailles, je me suis servi du physique de Joey Starr, que j’ai transformé en rhinocéros. Je voulais donner à ce personnage un côté féroce. Souvent, je travaille à partir de photos d’acteurs ou de personnalités. Je ne perçois plus mes personnages comme des animaux, je les vois comme des êtres humains. C’est un peu comme dans les BD de Lewis Trondheim, les personnages pensent comme des humains. On n’a pas l’impression qu’il s’agit d’animaux…
Toutes les personnalités sont représentées parmi les membres de cette colonie de vacances…
Oui. Du plus introverti à la racaille ! Le plus introverti, qui pleurniche tout le temps, n’a d’ailleurs pas de nom. Quand j’étais adolescent, j’étais un peu comme lui. Je me cachais. Le personnage de l’animateur est inspiré de Fred Neidhardt (l’auteur de Pattes d’eph & Col roulé [1]. Je me suis basé sur sa personnalité pour développer le rapport de l’animateur à l’argent. J’ai été heureux quand il m’a confié après avoir lu les planches : « Putain, mais c’est ce que j’aurais dit ou pensé ». J’adore ce personnage. C’est un peu le capitaine Haddock du lémurien ! (Rires).
Je rêve où vous avez publié une autre histoire de Maki dans Spirou. Pourquoi n’est-elle pas sortie en album ?
Ah ! Le premier tome devait être Un Cœur de lémurien. J’avais fait cette histoire avant Un Lémurien en colo. On devait évidement publier cette première histoire avant cet album-ci. Mais Frédéric Niffle trouvait qu’un Lémurien en colo tenait mieux la route. Nous avons donc voulu qu’il soit le premier album de la série. Un Cœur de lémurien sortira plus tard, sans doute sous le numéro zéro. Je vais bientôt commencer le deuxième tome, qui sera donc le troisième (Rires).
Toujours avec le lémurien, je prépare le deuxième tome du Journal pour les éditions Delcourt. Il s’intitulera Charlotte Gainsbourg, mon amour ! Ce sera à cent pour cent autobiographique.
Vous n’êtes pas lassé de ce personnage ?
Pour l’instant, non. J’ai été élevé avec les séries historiques de Dupuis, celles de Franquin et de Peyo. Cela ne me pose aucun problème qu’un personnage me suive durant toute ma vie. Évidemment, il faut que j’aie suffisamment d’idées pour l’animer tout au long de ma vie.
Comment en êtes-vous venu à dessiner avec ce style plus spontané ?
C’est un enchaînement involontaire. Laurel, qui était ma compagne à l’époque, voulait à tout prix réaliser un blog commun. J’étais piégé et je me demandais ce que j’allais pouvoir y dessiner. Je suis un dessinateur lent, et je ne pouvais pas me permettre de traîner en dessinant pour un blog. J’ai donc commencé à dessiner des personnages minimalistes, et puis de fil en aiguille, je me suis représenté en lémurien. Mon style n’était pas aussi sophistiqué que celui de Maki. Je me suis perfectionné peu à peu. C’est un soulagement d’avoir gagné en rapidité pour mes dessins, car je peux d’avantage me consacrer à l’histoire. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est de faire rire grâce au scénario.
Vous n’avez pas eu de problème de censure avec Maki ? Vous abordez un peu la sexualité de votre personnage…
Je me demandais souvent si telle ou telle page allait être censurée. Mais non, ce ne fut pas le cas. Je suis en parfaite osmose avec Frédéric Niffle. J’ai beaucoup de chance de travailler avec lui. Il est l’anti-Thierry Tinlot. Ce sont tous les deux des grands professionnels, mais Thierry Tinlot passait son temps à partager les rôles. Pour lui, un dessinateur devait collaborer avec un scénariste et ne pas interférer dans les histoires. Il ne fallait pas mélanger les genres. En gros, on devait se contenter de dessiner sans chercher à imposer des scénarios. Frédéric Niffle est tout l’inverse de cela ! Il cherche par tous les moyens à ce que ses dessinateurs se dépassent et se réalisent. Benoît Feroumont, qui réalise Le Royaume, en est la meilleure preuve ! Il n’a jamais été aussi bon que depuis qu’il fait ses scénarios.
Pour en revenir à la censure, il faut que ce genre de scène ne soit pas amenée gratuitement. Je crois que Frédéric Niffle laisse passer certaines choses si elles sont justifiées par l’histoire et si elles sont drôles
Vous avez dessiné « Le Tombeau de Champignac », un album de « Spirou et Fantasio ». Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
C’était génial, inattendu et inespéré que l’on me le propose. Je n’avais fait que quelques Violine.
Mais vous avez toujours été considéré par Dupuis comme un dessinateur prometteur.
C’est vrai ! Avec Simon Léturgie, nous étions un peu les derniers résistants de l’École Franco-Belge qui allait disparaître (Rires). Quand j’ai dessiné ce Spirou et Fantasio, je n’ai pas ouvert les albums de Franquin. Mon style est venu naturellement. En fait, c’était très « technique ». Le style de Franquin est très logique. Il avait une vision en trois dimensions, construite avec des perspectives plus ou moins justes. J’ai simplement suivi les conseils qu’il donnait aux jeunes auteurs dans des interviews ou qu’il m’a écrit dans les lettres que nous avons échangées, c’est-à-dire travailler d’après nature, respecter les proportions, tracer des perspectives, être rigoureux, etc. Bref, tout ce que les auteurs actuels ne suivent plus ! J’adore le travail de Yoann. C’est un auteur fabuleux, mais il ne répond pas aux contraintes techniques que Franquin s’imposait ! La perspective ou le respect de l’anatomie est complètement lâché par la nouvelle vague. Du coup, je suis un peu « vieille école ». Je demande souvent à ma copine de poser…
Si l’on en croit les esquisses parues çà et là, Franquin semblait avoir un bon coup de crayon dans le style réaliste…
Il savait, je pense, restituer la réalité du point de vue des proportions. Mais peut-être que le style réaliste lui posait des soucis, au contraire d’un Moebius qui est un virtuose ! Franquin aurait, été, je pense trop technique et trop précis pour faire du réalisme. Il n’y aurait pas eu la magie du style d’un Moebius, par exemple. En analysant le dessin de Franquin, on se rend compte que tout ne tient qu’à un fil ! Si on décalque son trait, on perd forcément le génie qui animait son dessin.
L’intrigue du « Tombeau des Champignac » était plutôt mince. Yann et vous-même ne vous êtes pas plutôt fait plaisir à retranscrire les ambiances qui vous inspiraient ?
Yann s’est chargé du synopsis, que j’ai respecté à la lettre. Je m’occupais du découpage et des dialogues. Nous avions un accord : il n’intervenait peu sur mes pages, et moi je respectais son histoire. Mon but était de le surprendre et de le faire rire.
Ce Spirou et Fantasio a été perçu de deux façons différentes : Les gens adorent ou détestent cette histoire. Mais nous nous en sommes bien sortis. Ceux de Yoann/Vehlmann et de Frank Le Gall ont eu beaucoup de critiques négatives. C’est certain qu’Émile Bravo a foutu une claque à tout le monde, et que son Journal d’un ingénu a éclipsé les autres albums.
Lorsque je travaillais sur cet album, j’étais dans un état d’esprit particulier. Je voulais qu’il soit dans la continuité de la série mère. J’étais donc un peu hors-sujet et je n’ai pas joué le jeu comme Frank Le Gall, Émile Bravo ou Yoann qui a consisté à réaliser un Spirou à leur sauce ! J’ai simplement voulu me rapprocher avec mes moyens de ce que j’aimais lire quand j’étais enfant.
Quel album vous a donné envie de faire de la bande dessinée ?
La Schtroumpfette ! C’est le premier album que j’ai acheté, et enfant, j’étais amoureux de ce personnage. J’ai découvert la BD grâce à Mickey, Pif et Les Schtroumpfs. Vers douze ans, je suis tombé sur les histoires de Franquin. Je n’aimais pas son style quand j’étais enfant. Je trouvais que son dessin était trop adulte, trop sophistiqué alors que celui de Peyo était tout en simplicité.
(par Nicolas Anspach)
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Des pages de "Charlotte Gainsbourg, mon amour" sont visible sur le blog de Fabrice Tarrin
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"Un blog est une sorte de petit théâtre, on est applaudi ou incompris en direct." (Avril 2008)
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Photos : (c) Nicolas Anspach
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