Quels espoirs fondez-vous dans cette vente ?
De grands espoirs parce que cela faisait vingt ans qu’on l’attendait, cette vente. François Schuiten avait toujours refusé de vendre ses dessins en couleurs, notamment pour des raisons de reproduction. C’est vrai qu’à l’époque, l’imprimerie était incapable de reproduire à l’identique ses dessins originaux. On a réussi déjà la première étape de cette vente en publiant un catalogue qui est un vrai livre. Ce soir, nous aurons le verdict.
Après, au niveau des prix, nous sommes entre 20 et 30 000 euros. En février, nous avions vendu un dessin noir et blanc de Schuiten à un peu plus de 50 000 euros. Il y a quelques années, j’avais vendu deux dessins en couleurs qui venaient de la seule expo-vente qu’il avait faite, je crois, à Amsterdam, il y a une quinzaine d’années. On a dépassé les 30 000. Au marteau, il y avait, je crois 32 000 et 38 000 euros. 20-30 000, c’est donc la bonne fourchette. On va faire la cote avec cette vente, c’est sûr.
En offrant ses originaux aux institutions (1200 planches), François Schuiten raréfie de facto sa présence sur le marché. Est-ce que c’est un facteur de consolidation de la cote ?
En tout cas, aux collectionneurs qui me demandaient des planches de La Tour, de L’Enfant penchée, puisqu’elles sont à la Bibliothèque nationale de France, le message est simple : si vous voulez des originaux de Schuiten, c’est ce soir à la vente d’Arcurial que vous en trouverez. Il n’y a pas d’autres opportunité. Cela peut consolider une cote, oui.
Quel est le profil de ces gens capables de mettre autant d’argent sur un original ?
Il est clair que ce sont des gens érudits, intelligents, qui comprennent son univers. Donc, forcément, il touche un peu tout le monde. On a de ’intérêt de gens en dehors du milieu de la bande dessinée. En une vente, cependant, on ne peut pas bâtir une cote à long terme et conquérir un marché. J’aurais préféré faire cette vente cinq ans en amont et que celle-ci soit la deuxième ou la troisième. Ce sont des collectionneurs attirés par l’architecture, le voyage, le rêve, la science-fiction, la lecture...
Les sujets thématiques, comme ce portrait de Jules Verne ou cette recherche pour le design du métro Arts & Métiers à Paris, sont-ils des facteurs qui valorisent une œuvre ?
Oui. Quand on a vendu ce dessin en février dernier, il y avait comme sujet une clé de sol. L’acheteur aimait sans doute la musique. Dans ce catalogue, il y aura forcément des disparités entre les dessins. Jules Verne ou l’autoportrait de l’artiste à se table de travail seront probablement plus porteurs que le dessin d’une usine, par exemple. Les dessins de l’Exposition universelle de Hanovre parleront sans doute plus à un acheteur allemand...
Est-ce que, parmi les acheteurs, l y a des institutionnels qui achètent, des musées par exemple ?
Malheureusement très peu. Ceci dit, sur Schuiten, entre la BnF et la Fondation Roi Baudouin en Belgique, on leur a tout donné ! (rires) Les héritiers de Comès ont fait la même chose la semaine dernière. Le marché et encore jeune. On a évolué depuis une quinzaine d’années, mais on doit encore travailler, notamment dans le domaine des institutions.
Est-ce que, si on a de l’argent, investir dans un dessin de Schuiten est une bonne idée ?
Je pense que c’est déjà plus abordable. Pour des œuvres d’art contemporain vendues des dizaines de millions de dollars à New-York, c’est déjà trop tard. La BD est novatrice, il y a tous les jours des nouveaux artistes qui surgissent. Il faut seulement bien choisir.
C’est peut-être déjà moins hermétique que l’art contemporain...
Les mentalités changent aussi. On n’a plus peur de mettre au mur des choses qui sortent d’un livre de bande dessinée. C’est l’art contemporain figuratif d’aujourd’hui. Quand on voit les Jeff Koons, Damien Hirst, Rothko ou Klein que j’adore, c’est conceptuel et abstrait, alors que la bande dessinée est vraiment un lieu où l’on trouve encore des vrais dessinateurs, des gens qui prennent du temps sur leur table de travail, et qui montrent notre civilisation d’aujourd’hui et du futur, mais aussi dans le temps comme ce dessin où il évoque les premiers projets de percée du tunnel sous la Manche, ce qui est le cas de Schuiten.
Vous êtres entré chez Artcurial voici deux ans avant d’avoir travaillé dans une autre maison de vente pendant dix ans. Comment ont évolué les prix du marché ?
Entre ma première vente significative il y a une douzaine d’années et aujourd’hui, le volume des ventes a triplé. 2012 a été une année exceptionnelle. Depuis la première vente Bilal en 2007, le marché est en hausse. Il a entraîné tout le monde derrière lui. Il y a l’arrivée d’une nouvelle génération avec de l’argent qui s’est dit : j’ai envie d’avoir du Bilal, du Tardi, du Schuiten... Du Tintin aussi : nous avons quand même battu le record du monde pour une planche de BD avec une enchère de 1,33 millions d’euros pour une couverture de Tintin en Amérique, l’année dernière ! Et puis Oxymore de Bilal qui n’a été montré qu’en Chine et qui avait fait une moyenne de 100.000 euros par tableau, ce qui n’est pas rien !
On est au-delà de la BD...
Il y a le marché des auteurs vivants, comme Bilal, Schuiten ou Nicolas de Crecy,... et puis les classiques : Hergé, Franquin, Peyo... C’est un profil d’acheteur très différent. Les grands collectionneurs font les deux. Mais il y a ceux qui achètent les contemporains et pas les classiques. C’est cette nouvelle clientèle-là que nous essayons de conquérir.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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La vente a lieu ce soir à 19 heures à Artcurial à Paris
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