Quel est le plaisir pour un scénariste de diriger une collection ?
David Chauvel : J’ai débuté le métier de "directeur de collection", il y a maintenant cinq ans. À l’époque, je commençais à tourner en rond et j’en arrivais à me demander pourquoi j’écrivais des livres, ce qui est quand même très mauvais signe ! Ça m’a permis de repenser mon activité de scénariste, de la remettre en perspective, de la confronter au regard des autres, de rencontrer de nouvelles personnes (que ce soit des gens qui avaient beaucoup d’expérience comme des gens qui débutaient), d’en discuter avec eux et de se demander pourquoi on fait se métier. Ça m’a permis également d’écrire moins vite et de me rendre compte que j’étais pris dans une logique d’écriture que j’avais cessée de questionner. Diriger une collection m’a beaucoup apporté dans la remise en question et dans la refonte de mon activité de scénariste. Je n’écris plus aujourd’hui ni les mêmes choses, ni pour les mêmes raisons, ni de la même façon qu’il y a cinq ans.
Quel point de vue avez-vous sur Impact [1], la première collection que vous avez dirigée et qui s’est soldée par un échec ?
D.C. : L’échec est dans le concept. Nous avons sincèrement pensé que si nous amenions plus de narration, plus de matière, plus d’histoire aux gens, ils allaient passer outre une maestria graphique. Mais nous nous sommes trompés. Les auteurs en ont payé lourdement le prix, mais la plupart ont profité de cette expérience pour rebondir. Ils ne nous en veulent pas à mort, ils ont aussi pu travailler, faire leurs armes… Dans les collections, il y a souvent une série qui écrase les autres et à côté quelques faire-valoir. Dans Impact, rien n’a écrasé puisque rien n’a décollé.
7, votre deuxième collection, elle, s’est bien vendue. Comment l’expliquez-vous ?
D.C. : Les lecteurs ont adhéré au premier album. Et le premier album, c’était Fabien Vehlmann au scénario et Sean Philips au dessin. Ce n’était pas n’importe qui ! Le bouquin a plu parce qu’il était beau et bon.
Par ailleurs, je pensais que si on faisait travailler des auteurs sur le même thème, et que ce thème leur plaise à eux, j’avais la conviction que ce côté ludique fonctionnerait et qu’il pouvait plaire aux gens. Nous aurions pu nous planter mais j’y ai toujours cru. Alors que sur Impact, j’avais des incertitudes. Sur 7, tout le monde s’amusait : les scénaristes, les dessinateurs. Il y a une dimension ludique dans les séries à concept, en tout cas sur celles dont j’ai eu l’idée et qui se basent sur un même thème. Cette dimension ludique doit être ressentie par les auteurs mais aussi par les lecteurs.
Comment s’organise le casting lorsqu’on lance une collection ?
D.C. : J’ai la chance de n’avoir aucune obligation et de faire ce qui me chante. Donc je travaille avec qui j’ai envie, les gens que j’apprécie, les copains… Et il y avait des auteurs qui n’avaient pas pu travailler sur 7 et avec qui j’avais vraiment envie de collaborer. Notamment Fred Duval. Puis il y a des jeunes auteurs en lesquels je crois. Enfin, il y a les auteurs, comme Fabien Vehlmann dont je connaissais le travail mais que je n’avais jamais rencontrés.
Comment vous vous situez justement par rapport aux auteurs ? Vous êtes plutôt de ceux qui donnent l’impulsion au départ et puis après carte blanche ou bien alors vous suivez le travail de très près ?
D.C. : J’ai la sale réputation de mettre mon nez dans les planches. Quand on a des gens qui ont le métier de Richard Guérineau, ou de Sean Philips, je me dis que je ne sers à rien ! Je vais juste les accompagner. Mais j’adore travailler avec des gens qui débutent et avec qui il y a tout à faire. Je me suis découvert une envie de transmettre que je ne me connaissais pas. Mais parfois, il faut que j’arrive à ne pas aller trop loin. Car je suis présent tout le temps lors de la fabrication du livre. Je sais que c’est quelque chose qu’il faut accepter de la part du scénariste et du dessinateur. J’ai la chance que la plupart l’accepte, mais je sais que je suis intrusif et que ça peut déranger.
Le fait d’être soit même auteur, ce n’est pas parfois un peu gênant ?
D.C : Je pense que les gens avec qui je suis intrusif, ce sont souvent ceux qui ont moins de métier et qui débutent. Ils acceptent le fait qu’il y ait une expérience qui parle et si à un moment, ils trouvent qu’elle déborde, ils me le disent. Ils sont un peu surpris parfois, mais ils comprennent que je ne suis pas là pour être auteur à leur place. Mais si la page est mal foutue ou que les bulles ne sont pas dans le bon ordre... Je le dis.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans le principe de "série concept" ?
D.C. : Ce que je fais en tant qu’éditeur répond à la même logique que ce que je faisais en tant que scénariste, c’est-à-dire à une logique d’éclectisme. J’ai écrit de la jeunesse, du polar, du fantastique, de l’Heroic Fantasy. Cet éclectisme n’est pas calculé, il est dans ma nature. Après, j’aime faire des séries "concept" parce qu’il y a une notion de participer à une œuvre commune qui respecte les individualités. J’ai un boulot de chef d’orchestre : je suis là pour que chaque auteur exprime son talent et qu’en même temps, l’ensemble fasse corps et ait une vraie unité et une vraie logique.
Parlons maintenant des albums de votre nouvelle série-concept Le Casse…
D.C. : Quand on parle de casse, on pense à polar, aux trucs américains et français… Eh bien, ce sera très différent ! Diamond, le premier tome est un thriller qui se passe en Sibérie de nos jours dans les mines de diamants. Il est écrit et dessiné par Christophe Bec et Dylan Teague. Le deuxième tome, Le Troisième jour de Henri Meunier et Richard Guérineau, est un livre très étonnant et très drôle qui se passe à Jérusalem avec Marie-Madeleine et Jacques le Juste qui veulent récupérer le corps du Christ.
Ensuite, Soul man, le tome 3 que j’ai écris et que Denys a dessiné, est un petit peu plus classique : c’est un polar noir américain carcéral. Dans cet album, le casse a déjà eu lieu trois ans plus tôt et il s’agit de retrouver l’argent. Pour le tome 4, La grande escroquerie, Fred Duval a eu la très bonne idée de faire un compte à rebours sur 24 heures, à Londres, le jour même du jubilé de la reine où les Sex Pistols bannis du sol anglais ont donné un concert qui s’est mal terminé, sur une péniche sur la Tamise. C’est un album très jubilatoire dessiné par Christophe Quet.
Luca Blengino et Antonio Sarchione ont fait un western : Gold Rush. Ils évoquent le vol d’une énorme pépite d’or qui attire toutes les convoitises. Enfin le dernier album, L’Héritage du Kaiser dessiné par Trevor Hairsine, est très inattendu : cela se déroule en 1936 en Allemagne. Le scénariste Herik Hanna a choisi un déroulement très étonnant : on met 2/3 du livre avant de savoir ce que ça va être, on sait que l’officier allemans prépare quelque chose, mais on ne sait pas quoi. J’ai signé d’autres albums avec Herik, c’est un scénariste dont on va attendre parler dans les prochaines années...
(par Laurent Boileau)
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