C’est un monde étrange qui s’ouvre à nous une fois passées les portes de la Halle Saint Pierre au pied du Sacré Coeur. Un monde fait de corps décharnés ou obèses, de boyaux chatoyants, d’orifices, de boursouflures purulentes, un monde vivant et funèbre, dérangeant et hypnotisant. C’est celui de Stéphane Blanquet, artiste plasticien français aux multiples casquettes aussi bien versé dans la bande dessinée que dans l’illustration, la danse, le théâtre ou la sculpture.
Dans chacune de ces disciplines, il a traîné ses démons et ses fantasmes, son obsession pour le corps et ses limites, "une magnifique machine" décrit-t-il. "Je tire un boyau comme on dévide une pelote de laine, et je vois ce qu’il ressort". Son art est brut, organique, maîtrisé, et spontané surtout. Il explique que la voie de l’indépendance, qu’il a choisie très tôt dans sa carrière, est un moyen pour lui de « court-circuiter le système », d’aller plus vite, plus loin, d’imaginer, de créer et de publier un livre en un mois, puis un autre, et encore un autre, et encore un autre.
Figure incontournable du fanzinat et de l’édition alternative, Blanquet a été aux avant-postes de ce segment de l’édition en France, et on lui doit notamment la maison d’édition Chacal Puant avec laquelle il a publié nombre de ses titres, mais aussi des albums signés Charles Berberian ou Laurent Lolmède, des premiers titres publiés à L’Association.
Son début de carrière est émaillé d’innombrables titres alternant entre le roman graphique, la bande dessinée, le recueil d’illustrations et l’album-concept. Cynique, voire parfois même cruel envers ses personnages, Blanquet aime raconter des fables aussi amusantes que dérangeantes, qui se finissent presque irrémédiablement par la mort d’un personnage et des ses protagonistes.
On se souvient particulièrement de son travail caractéristique sur l’ombre chinoise, à travers une série d’albums dont La Nouvelle aux Pis ou La Vénéneuse aux deux éperons, dans lesquels il ne met en scènes que des silhouettes, des ombres qui déambulent et se confondent. Ce travail sur la forme se couple à un travail sur le son, plus exactement sur le silence : ces albums sont muets, et l’histoire n’est racontée qu’à travers le dessin qui n’en devient que plus expressif encore.
Ce n’est qu’après un long approfondissement du média que Blanquet décide de se tourner vers d’autres formes d’expressions. "La BD ce n’était plus suffisant. je voulais du volume, de la 3D, du mouvement" nous raconte-t-il. Il se tourne donc vers la sculpture, le spectacle vivant, l’animation, le fer forgé même !
Compulsif, frénétique et foisonnant : son art s’étale sur et entre les murs de la Halle, et ses œuvres se comptent par centaines. On passe de marionnettes pour des théâtre d’ombres à des tableaux bigarrés aux couleurs vives, puis une monumentale tapisserie apparaît suivie d’une installation sculptée cryptique...
Et bien que fondamentalement différentes, ces créations sont toutes animées d’une même énergie, des thèmes communs qui les rassemblent dans leur diversité. Blanquet a du mal à résumer ces traits communs : "La sexualité, l’anatomie, le visqueux, le gluant, et toutes ses déclinaisons. Ce qu’il y a dans une seule tête ne me suffit pas, c’est pour ça qu’il m’en faut plusieurs..." D’où ce titre pour l’exposition : "Dans les têtes de Blanquet."
Un reportage de Jaime Bonkovski de Passos, Didier Pasamonik et Cédric Munsch.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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"Dans les têtes de Stéphane Blanquet", exposition à la Halle Saint Pierre 2 Rue Ronsard, 75018 Paris, du 5 septembre 2020 au 31 juillet 2021.
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