Avec Vinci, vous concrétisez une vieille amitié.
G. Chaillet : Oui. Cela fait plus de vingt-cinq ans que nous avions envie de travailler ensemble. Dans les années ’80, nous avions même envisagé de réaliser une adaptation libre du Juge Ty en bande dessinée. L’auteur de ces romans, Robert Hans Van Gulik, était ambassadeur de Hollande à Pékin. Pour éviter de s’y ennuyer, il a écrit plusieurs romans qui se déroulaient dans cette ville au douzième siècle. Didier et moi-même étions lecteurs de cette série et avions envie de l’adapter. À cette époque, j’ai eu l’occasion de réaliser un Vasco qui se déroulait en Chine. Je me suis tellement cassé les pieds à dessiner des décors chinois et des temples, que j’en ai été dégoûté (Rires).
Pourquoi explorer aujourd’hui la personnalité de Léonard De Vinci ?
D. Convard : Il fait partie de la mythologie de la Renaissance et est devenu un être universel. Je voulais aborder ce génie. Quant on étudie la parcours de Léonard De Vinci, on s’aperçoit bien vite qu’il a laissé des zones d’ombre dans sa vie alors qu’il a manifestement beaucoup écrit. Il tenait ses comptes, relatait ses occupations dans des carnets, etc. Il voyageait beaucoup, et souhaitait côtoyer les grands de ce monde.
Vinci me hantait depuis longtemps, mais je ne savais pas comment l’aborder. Je ne trouvais pas l’accroche. Un jour, j’ai décidé de le mettre au cœur d’un thriller, et les éléments se sont imbriqués…
Vous en faite un personnage trouble, à la limite du psychopathe…
DC : Oui. J’ai directement évoqué cette option avec Gilles. Il fallait qu’il soit d’accord avec moi. Vinci était quelqu’un d’équivoque. Il a lui-même écrit que toute son œuvre était de passer de l’ombre à la lumière. Il a apporté beaucoup à la peinture de la Renaissance. Cet homme n’est devenu sympathique, chaleureux et généreux qu’à l’âge de cinquante ans ! Avant, c’était un personnage hautain et orgueilleux. Son égo était surmesuré. Il a même été accusé de viol sur la personne d’un adolescent. C’était un homme génial, mais terriblement ambigu !
Vous lui avez adjoint d’un jeune garçon…
DC : Il a réellement existé. Vinci avait adopté ce jeune garçon, dont on ne connaît pas l’origine. C’était probablement un vagabond. Léonard De Vinci le considérait comme son fils. Il en a même fait son légataire universel ! Les légendes disent que c’était son serviteur, d’autres son amant ! Nous nous sommes simplement engouffrés dans la brèche.
En faisant parler Vinci, vous partagiez aussi votre passion pour le dessin et l’anatomie. Je songe à cette formidable scène où Vinci parle à ses élèves du portrait de Judas…
GC : J’ai trouvé cette page fantastique, d’autant plus qu’elle sert le scénario ! Elle donne des indications quant aux rebondissements de l’intrigue. J’ai été moi-même ébloui par cette scène
Vous êtes vous inspiré de ses œuvre pour votre travail ?
GC : j’ai essayé de retrouver les ambiances de cette époque-là à travers mon dessin. Je me suis beaucoup inspiré de tableaux. Lorsque nous sommes allés en Italie pour faire un repérage, Didier et moi-même, nous avons visité beaucoup d’églises. Les fresques y sont nombreuses. Chantal Defachelle, ma femme qui est également ma coloriste, s’en est inspiré pour ses couleurs. Il fallait que les gens « sentent » Vinci !
Vous accordez énormément d’importance aux décors. Pourtant vous dites que votre main vous trahit.
GC : Oui. Cela fait quelques années que ma main m’ennuie. Je suis aujourd’hui secondé par Marc Jailloux. Il m’a assisté sur le dernier tome de La Dernière Prophétie. Cette aide me libère et me permet de mieux travailler mes crayonnés.
Lorsque j’ai lu le scénario de Didier pour la première fois, j’ai été frappé par sa densité. Il comportait neuf à dix cases par pages. Régulièrement, dans son découpage, il me disait de dessiner « un décor dont j’avais le secret » ! Malheureusement, je n’en avais pas la place. Nous avons donc desserré les courroies du récit, et porter la pagination à 54 pages. Nous n’avons pas touché au récit. Le résultat est équilibré et harmonieux. L’éditeur nous a suivi dans cette démarche.
Utiliser les machines inventées par Vinci pour les besoins du récit, cela devait être jouissif
DC : Oui. D’autant plus que je donne la raison pour laquelle Vinci les a inventées ! Vous la trouverez dans le deuxième album. Dans le premier album, le lecteur aura l’impression que Vinci passe le plus clair de son temps à peindre, à faire de la musique et à s’exercer à d’autres arts. Et qu’il n’invente rien. Le dernier tome du diptyque montrera que ce n’est pas le cas. Si Vinci est devenu génial, c’est pour une raison particulière. Sinon, il se serait contenté de n’être qu’un vulgaire peintre et un organisateur de fêtes. Nous allons donner notre version sur cette raison.
Je viens de voir l’exposition Picasso et les Grands Maîtres au Grand Palais. Je vous la conseille. L’œuvre de Picasso n’est pas forcément accessible à tous, et pourtant c’est l’un des plus grands génies de la peinture. Le premier tableau qui est exposé est une peinture que Picasso a réalisée à l’âge de quinze ans ! Il est mis en relation avec un Rembrandt. La qualité de son travail était équivalent, voire meilleur, que Rembrandt. C’est extraordinaire. Que pouvait-il faire après cela ? Rester un faux Rembrandt pendant toute sa vie ? Ou inventer quelque chose ? Il ne pouvait pas faire autrement que d’inventer. C’est pour cela qu’il est devenu Picasso. S’il n’avait pas peint d’une manière exceptionnelle à 15 ans, on n’aurait probablement pas assisté à sa déstructuration du dessin.
Cela nous éloigne de Vinci…
DC : Pas du tout ! S’il ne s’était pas passé quelque chose, qui sera dévoilé dans le deuxième tome, dans la vie de Vinci, il ne serait jamais devenu l’artiste génial que nous connaissons ! Il s’agit là d’une réflexion sur le destin.
Que fait un scénariste ? Il joue avec le destin de ses personnages. C’est son imagination qui offre tel ou tel destin à ses héros. Si je me lève fatigué ou de mauvaise humeur, mon personnage n’aura pas le même destin que si j’aurais été en forme en inventant une séquence…
Didier Convard, vous avez abandonné le dessin. Est-ce cela vous manque de ne plus dessiner ?
DC : Absolument pas ! Je dessine toujours, mais plus de bandes dessinées. Je ne suis plus capable de dessiner dans le style réaliste qui était le mien. J’ai perdu mon savoir-faire pour les perspectives et l’anatomie. Après dix ans sans dessiner un album de BD, ma main est devenue maladroite. Par contre, arrivé à la soixantaine, j’ai découvert un autre dessin. Mon style est aujourd’hui plus proche de celui de la nouvelle génération que de la mienne. Je ne suis plus foutu de faire une ligne droite, une ligne claire, ou des personnages correctement proportionnés.
Dessiner un album avec ce style graphique, ne serait-ce pas tentant ?
DC : C’est un projet. Un jeune scénariste, d’une trentaine d’année, m’a proposé un scénario d’une rare poésie. Il souhaite que je l’illustre moi-même, à la main libre sans aucun crayonné. Je compte lever le pied, d’ici deux ou trois ans pour dessiner cette histoire. Rien que pour le plaisir !
Gilles Chaillet, vous avez cédé Vasco à Frédéric Toublanc. Des regrets ?
GC : Aucun ! Quand j’ai lu le scénario de Vinci, j’étais décidé à ne pas laisser passer cette histoire. Il fallait donc que je trouve un dessinateur pour reprendre Vasco. Une douzaine d’auteurs ont réalisé des essais. Avec l’équipe du Lombard, des lecteurs croisés lors de festivals, j’ai choisi Frédéric Toublanc, qui a réalisé La Dame Noire. Ceci dit, cela m’a quand même fait un drôle d’effet lorsque je me suis rendu compte que je n’étais plus le dessinateur de cette série. J’avais l’impression d’avoir confié mes enfants à un père adoptif ! Aujourd’hui, ce sentiment est digéré. Je suis heureux de me consacrer à d’autres projets.
Et la Dernière Prophétie ?
GC : Je pensais sincèrement pouvoir réaliser Vinci et La Dernière Prophétie en alternance. Malheureusement, ma main en a décidé autrement. J’enchaîne sur le deuxième tome de Vinci, puis m’attellerai au cinquième et dernier tome de La Dernière Prophétie.
Didier Convard, vous allez réaliser une suite au Triangle Secret ?
DC : Oui. Les gardiens du sang se passera durant la période contemporaine et sera un « miroir » du Triangle Secret. Comme ce nom l’indique, ce récit traitera des « Gardiens du Sang », les ennemis intimes de Didier Mosèle et de Francis Marlane et plus globalement des francs-maçons depuis la nuit des temps. Je reviens sur la raison de cette haine dans ce nouveau cycle. Le triangle secret parlait de la loge dissidente de la maçonnerie. Les gardiens secrets parleront de la loge dissidente du Vatican.
Les lecteurs connaissent déjà l’univers et les rouages de l’histoire. Je n’aurais pas besoin d’écrire un album d’introduction pour être au cœur du sujet. Nous démarrerons immédiatement dans l’histoire. Les premières pages du premier album mettront en scène un fugitif qui sera seul contre tous. Cette histoire abordera la paranoïa, la fuite et l’angoisse. J’extrêmise la manipulation à un point tel que le lecteur se demandera s’il ne suit pas l’histoire d’un criminel.
Pourquoi créer des suites au « Triangle secret »
DC : I.N.R.I. n’était pas une création. À l’origine le « Triangle secret » était un roman. Je l’ai adapté en bande dessinée. Celui-ci contenait quelques pages de flash back. Il était impensable de réaliser quatre albums supplémentaires entre ceux du Triangle Secret pour les aborder. J’ai donc décidé d’ôter ces flashs back, quitte à y revenir après…
Après avoir réalisé I.N.R.I., mon éditeur, Jacques Glénat, m’a demandé de réaliser une troisième saison du Triangle Secret. Les lecteurs accrochaient à l’univers. Et puis, ne nous en cachons pas, financièrement parlant c’était intéressant pour tout le monde ! Je lui ai donc donné mon accord, à condition que je trouve une idée en béton. J’ai passé deux ans à ruminer, à chercher. Je n’arrivais pas trouver le bon angle. Je ne voulais pas d’une suite bancale et artificielle. Henri Filippini m’a, un jour, soufflé l’idée de créer une histoire autour des gardiens du sang. Ce thème coulait de source ! Et pourtant, je n’y avais pas pensé …
Il y a aussi un projet de one-shot autour du personnage de Montespa …
DC : Il est écrit. Mais pour ne pas créer de confusion avec les différents satellites du « Triangle Secret », nous l’appellerons « Hertz 2 ».
Vous avez annoncé travailler avec Éric Adam sur un préquel de la série Neige.
DC : Je devais écrire un protocole, le canevas, de cette histoire, et je me retrouve à la tête d’une saga cohérente. Je suis aidé par Éric Adam au scénario. Nous allons aborder les différents aspects qui ont menés à la construction du mur. Nous allons, en quelque sorte, pousser à l’extrême les questionnements que nous nous posons actuellement par rapport à la crise économique, au réchauffement climatique, etc. Nous arriverons à la proposition de Northman…
Cette première saison ne paraîtra pas dans l’immédiat. Elle sera précédée par un cycle où nous aborderons la conception de Neige et sa naissance. Ce sera également une réflexion sur le destin.
Nous avons peut-être trouvé deux dessinateurs pour illustrer cette introduction à Neige. Mais aucun contrat n’est encore signé. Je préfère donc taire leurs noms.
Vous êtes reparti pour vingt-cinq année de création autour de cette série
DC : Non. Cette spin-of de Neige comportera des cycles beaucoup plus courts que la série principale. Christian Gine a envie de se consacrer à d’autres projets, mais il est question, qu’il réalise une conclusion définitive à l’histoire de Neige dans un avenir plus ou moins lointain…
Pourquoi n’avez-vous pas signé l’adaptation en bande dessinée de la série télévisée « Disparitions », à laquelle vous avez participé ?
DC : Mais je n’ai rien fait dans la bande dessinée, si ce n’est relire le découpage. Certains dialogues sont empruntés de mon travail sur le roman, paru en octobre dernier. C’est tout ! Le département marketing des éditions Glénat voulait apposer mon nom sur la couverture. Cela n’aurait pas été déontologiquement acceptable, vu que je n’y ai travaillé qu’une heure par mois ! Nous sommes, Jacques Mazeau et moi-même, coauteurs du roman, mais pas de la bande dessinée…
Gilles Chaillet, allez-vous continuer à écrire des scénarios pour d’autres auteurs ?
GC : Oui, bien sûr ! Vasco continue. Nous avons malheureusement un problème avec le rythme de travail de Frédéric Toublanc. Il fournit deux pages par mois. C’est peu. Sinon, je viens de boucler la série Intox. Nous avons eu, ma coscénariste et moi-même, une complicité fort sympathique avec Olivier Mangin, le dessinateur. Nous envisageons de travailler à nouveau ensemble, sur des cycles de deux albums. Pourquoi pas avec les mêmes personnages ?
Sinon, je vais entamer un nouveau projet avec Christian Gine. L’année prochaine, il dessinera une de mes histoires : un western antique et romain ! Dans Les Boucliers de Mars, les Romains feront les « Tuniques Bleues » et les ancêtres des Iraniens seront les Indiens… Ils auront leurs montagnes et leurs canyons ! Tous les ingrédients du western seront inclus dans cette histoire. Et on y retrouvera aussi ma rigueur sur le plan historique !
(par Nicolas Anspach)
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Commander Vinci T1 sur Internet
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