Quel a été votre parcours avant de réaliser le deuxième tome de « La Malédiction des trente deniers », le dernier album de Blake & Mortimer ?
J’ai essentiellement travaillé pour différents supports de communication qui étaient destinés aux entreprises. J’ai aussi fourni des histoires pendant de nombreuses années aux éditions Disney. Je dessinais les aventures de Winnie l’Ourson et de Tic & Tac pour des revues entre 2002 et 2009. En 2004, j’ai publié avec Pierre Wazem un récit, Sur la neige, aux Humanoïdes Associés.
En 2009, je me suis associé avec Laurent Rullier pour un projet de série. Nous avons monté un dossier, que nous avons envoyé à différents éditeurs. Les éditions Dargaud ont repéré mon travail. Ils m’ont téléphoné pour me dire qu’ils songeaient à moi pour un travail d’illustration autour des personnages de Blake & Mortimer. Cette commande était destinée à une banque. J’ai donc dessiné ces planches d’une manière assez décontractée, sans arrière-pensée. C’était à mes yeux un travail de communication comme j’en avais déjà réalisé des dizaines d’autres auparavant.
Philippe Ostermann, qui gérait à l’époque l’aspect éditorial de Blake & Mortimer, m’a ensuite demandé de faire des essais pour reprendre la série. Il m’a envoyé les planches tests qu’avait scénarisées Yves Sente. Les essais se sont avérés concluants et je suis venu en Belgique pour rencontrer Jean Van Hamme.
Comment avez-vous appréhendé la reprise de Blake & Mortimer ?
La narration graphique m’intéresse plus que tout dans la bande dessinée. Mais j’étais confronté à un problème délicat. Je voulais suivre les codes narratifs d’Edgar P. Jacobs, tout en tenant compte que Jean Van Hamme a une manière plus moderne de découper les planches. J’ai donc travaillé pendant deux ans entouré de certains albums de Blake & Mortimer d’Edgar P. Jacobs. Je les connaissais bien sûr déjà par cœur, mais ils me servaient à corriger mon travail au fur et à mesure de l’évolution de mes planches. Je voulais amener « l’esprit » de Jacobs dans le dessin et dans le découpage de Jean Van Hamme quand j’en voyais la possibilité.
Quels sont vos albums mythiques ?
L’éditeur propose aux repreneurs de se référer à la Marque Jaune. C’est ce que j’ai essayé de faire. Mais ma petite madeleine reste SX1 Contre-Attaque, qui était à l’origine le deuxième volume du Secret de l’Espadon [1]. Cet album me plait particulièrement car on y décèle l’influence américaine de Jacobs. Celle que l’on perçoit plus dans ces travaux pour Bravo (Le Rayon U). J’avais donc ces albums autour de moi pour m’auto-corriger. Jacobs avait des tics graphiques, notamment dans les postures de ses personnages qui ont souvent une démarche théâtrale et altière.
La pression devait être conséquente tout au long de la réalisation de l’album, non ? L’éditeur était pressé de sortir le second volume de ce diptyque compte tenu du triste historique du premier.
Je n’ai pas perçu les attentes qui étaient associées à cet album. J’ai travaillé de manière inconsciente. Je savais bien sûr que Blake & Mortimer avait de bonnes ventes, mais sans plus. Je ne me doutais pas que ce second tome de la Malédiction des trente deniers était si attendu ! Par contre, j’ai connu bien plus tôt l’attente de l’éditeur ! Et à vrai dire, je ne l’avais pas anticipée. Au début de la réalisation de l’album, l’éditeur, Philippe Ostermann, était un peu distant. Puis, il y a eu des changements chez Dargaud, et il a été amené à exercer d’autres fonctions dans la société. Yves Schlirf a donc pris le relais. La date de publication du livre était fixée avant même que je ne commence la première planche ! Plus elle approchait, plus j’avais des appels téléphoniques pour me pousser à travailler. Au printemps dernier, Yves n’était pas totalement rassuré et certain que je sois capable de terminer l’album dans les temps. Il a eu raison de s’inquiéter, et il m’a imposé de travailler avec Étienne Schréder qui a encré de nombreuses pages.
Il y a-t-il encore un côté artistique à une telle reprise. Avez-vous eu l’impression de bâtir une œuvre ou vous sentiez-vous être un artisan au service d’une cause ?
Je n’ai vraiment pas le sentiment d’être un artiste. C’est un statut – ou une posture – que je ne revendique pas du tout, et que je ne conteste pas d’ailleurs à d’autres dessinateurs. J’ai abordé ce travail comme les travaux que j’ai réalisés pour la communication ou pour Disney. En revanche, j’estime avoir développé un savoir-faire dans le découpage et dans la narration graphique. J’ai dû l’exercer de manière évidente dans cet album de Blake & Mortimer. Il n’est pas possible de copier des morceaux de dessins de Jacobs, de les mettre bout à bout pour raconter une histoire. Enfin, ce serait peut-être possible, mais cela deviendrait plus de l’OuBaPo qu’un Blake & Mortimer issu de l’imagination de Jean Van Hamme (Rires).
Il y a donc une part de mon identité qui s’est greffée à cet album. Après, j’ai essayé de m’effacer en tant que dessinateur pour faire venir au maximum le style de Jacobs. Il est certain que l’on voit que j’ai dessiné ce Blake & Mortimer. On ne peut jamais s’effacer complètement.
Quel type d’ambiance avez-vous préféré dessiner dans ce deuxième volume ?
Les deux dernières cases de la planche 39. J’aime dessiner des personnages soignés, bien habillés (en smoking ou en tenue de ville) près de jolies voitures dans des rues propres (Rires). C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai accepté cette reprise. Et dans cet album, il n’y a eu que ces deux cases. De ce point de vue, j’étais un peu frustré de ne pas avoir plus de scène de ce genre à dessiner.
Vous deviez tenir compte des personnages inventés par Jacobs, mais aussi ceux inventés par René Sterne, dans le tome d’ouverture…
Oui. J’ai demandé à l’éditeur si je devais envisager une continuité graphique par rapport à l’album dessiné par René Sterne et Chantal De Spiegeleer. Il m’a demandé de revenir vers les fondamentaux. Heureusement, car le graphisme que j’envisageais était plus réaliste que celui de René Sterne. Deux personnages, la nièce du Professeur Markopoulos, Eleni, et Von Stahl intervenaient régulièrement. J’ai essayé de les saisir, et de les dessiner dans un style qui s’éloignait de celui de René Sterne. D’autres personnages ont été définis par Ted Benoît : je songe à Jessie Wingo et à un autre membre du FBI. J’ai donc dû « lier » tout cela, tout en tenant compte du style du créateur de la série. Heureusement, si on observe bien les albums que Jacobs a dessinés, on s’aperçoit qu’ils sont tous différents les uns des autres, à l’exception des deux tomes du Mystère de la grande pyramide, qui sont homogènes. Son style a évolué d’album en album, ce qui est aussi une difficulté pour la reprise.
Avez-vous été en Grèce pour vous documenter ?
Non, je n’y suis jamais allé. Cet aspect-là du travail était aussi une nouveauté. C’était la première fois que je devais me documenter de la sorte. Au début, j’ai eu des difficultés car la recherche documentaire est un exercice fastidieux. J’ai appris à utiliser Internet et à trouver les bons livres. Je n’ai malheureusement pas pu utiliser la documentation de Jean. Il avait réuni un certain nombre de photographies qu’il avait transmises à René Sterne. Mais elles ne sont pas parvenues jusqu’à moi… Ce n’était pas désagréable de dessiner ce pays. Certaines pages ont été fort plaisantes. Notamment les scènes qui se déroulaient près de la mer.
Comment s’est passée votre collaboration avec Étienne Schréder ?
Je ne peux pas dire que nous ayons collaboré ensemble. Yves Schlirf m’a demandé de lui envoyer mes pages crayonnées. Au début, Étienne a travaillé sur l’encrage des décors. Puis, Étienne a pris totalement en charge l’encrage des décors et des personnages. Je ne le connaissais pas du tout. Yves l’a recruté. Je me suis renseigné afin de savoir qui était ce dessinateur. J’ai vu que c’était un professionnel et j’ai pris la chose avec philosophie. Étienne Schréder est plus âgé que moi et il a plus de métier. Je ne me voyais pas lui dicter des ordres. Yves ne m’a pas vraiment laissé le choix. J’étais en retard. J’ai accepté la proposition d’Yves car cette série ne m’appartient pas. Dargaud en possède les droits et je n’ai pas créé Blake & Mortimer. Il faut donc accepter que ce soit eux qui dictent les règles du jeu. Je dois m’y soumettre de bonne grâce. En essayant de trouver mon bonheur. Je l’ai trouvé en rencontrant Étienne Schréder par après, qui est un homme adorable ! Je suis heureux de le connaître, et qu’il ait été associé à l’album. Tout va donc bien…
L’album a été prépublié dans un journal, en France. Entre le moment de la remise de la dernière planche pour la publication du journal, et celui du bouclage définitif de l’album, il y a eu un battement d’une dizaine de jours. J’ai mis ce temps à profit pour corriger certains visages, grâce l’informatique, sur les planches qui avaient été encrées totalement par Étienne.
Avez-vous envie de réaliser une série en dehors de Blake & Mortimer ?
Je n’ai pas le temps pour l’instant. Le projet que j’avais avec Laurent Rullier me plaisait beaucoup. Nous avions signé un contrat chez Delcourt. Quelques jours après l’avoir signé, Dargaud m’appelait pour me proposer ce travail de communication autour de Blake & Mortimer. Tout s’est enchaîné. Les éditions Delcourt ont été bienveillantes et ont accepté de postposer le projet. Mais Laurent Rullier a commencé à trouver le temps long et a souhaité réaliser Les Combattants avec un autre dessinateur. Le premier tome, dessiné par Hervé Duphot sortira à la mi-février chez Delcourt. Yves Schlirf et Jean Van Hamme m’ont proposé de réaliser un nouveau Blake & Mortimer ensemble. Je continue donc, et j’en suis heureux.
Quels albums vont-ils donné envie de faire de la bande dessinée ?
Je ne sais pas s’il y a un album en particulier qui m’a donné envie de faire de la BD. Mais les premiers albums qui m’ont procuré un choc, dès l’enfance, ce sont des tomes de Tintin : Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge , mais aussi Le Testament de monsieur Pump, une aventure de Jo, Zette et Jocko. Les trois albums ont été réalisés par Hergé. Je connais ces histoires comme le fond de ma poche !
(par Nicolas Anspach)
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Illustrations : (c) A. Aubin, J. Van Hamme & Editions Blake & Mortimer.
Photo de l’auteur (c) Editions Blake & Mortimer.
[1] Les albums ont été redécoupés ensuite pour des raisons éditoriales.
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